Mic Mardan se dédouble …. ! Les écrivaines ont eu envie d’écrire chacune une nouvelle à partir d’une idée commune : « la découverte de vieux livres de contes ignorés de tous ».
Nous vous présentons ces deux nouvelles : LA DIFFERENCE et LES CONTES OUBLIES
Bonne lecture !
La différence
Cachés dans un coin de la bibliothèque du salon je découvre en cherchant un ouvrage une dizaine de petits livres reliés entre eux par une faveur dont la couleur a jauni d’un certain Thibault Talmon. Je ne savais pas qu’il y avait un écrivain dans la famille, personne ne m’en avait jamais parlé. Ce sont des contes et des poésies illustrés de jolie manière par un peintre aussi inconnu que l’auteur. Les poésies sont dédiées à un certain Jean-Luc en remerciement à des années de bonheur passées et trop vite enfuies. La maison d’édition n’existe plus et je ne trouve aucune date d’impression. D’après mes parents il s’agirait d’un arrière-grand-père qui aurait vécu à Montloup, berceau de notre famille, petite station de sports d’hiver où nous passons chaque année les fêtes de fin d’année.
Je poursuis mes études dans une école de journalisme avec mon cousin Arthur. Nous sommes tous les deux des littéraires contrairement au reste de la famille qui pullule de matheux et d’ingénieurs. On nous laisse à part comme des pestiférés non sans nous avoir souvent rabâché que nos études ne serviront à rien sinon à user nos fonds de culotte sur les bancs de pôle-emploi ! Mais Arthur et moi nous aimons les livres et, n’en déplaise aux autres, nous avons bien l’intention un jour d’en écrire un ensemble ! Fière de ma découverte je cours chez mon cousin avec mon précieux bagage et nous lisons ces contes et ces poésies qui nous enchantent. Voilà un sujet de thèse qui tombe à pic !
Un futur journaliste se doit aussi d’être un enquêteur et en fins limiers que nous sommes nous essayons de percer la personnalité et le mystère qui tourne autour de cet aïeul dont on nous a caché l’existence et surtout les œuvres. Et pourquoi nos parents ou nos grands-parents ne nous ont-ils pas lus ces histoires quand nous étions à l’âge de l’émerveillement ? Autant de questions pour lesquelles nous devrons trouver des réponses. Je feuillète les albums photos les plus anciens et je tombe sur le portrait d’un homme encore jeune habillé comme un montagnard, une canne à la main, un chien assis à ses pieds, aucune légende n’illustre ce portrait mais je suis sûre qu’il s’agit de cet arrière-grand-père, il a dans le regard des pays de rêves.
Les grandes vacances sont proches et au lieu de passer tout l’été à Cabourg comme nous le faisons chaque année, Arthur et moi décidons d’occuper la maison de Montloup délaissée pendant la période chaude. Nous ne connaissons ce village que sous la neige et nous découvrons un endroit plein de charme. Après une installation rapide nous nous rendons à la mairie où nous espérons trouver des documents qui prouvent l’existence de cet aïeul. Je n’ai pas oublié d’emporter la photo prise dans l’album au cas où quelqu’un pourrait l’identifier. Les registres de naissance sont là étalés devant nous et sans remonter très loin nous découvrons un Thibault Talmon, frère de mon arrière-grand-père, donc un arrière-grand-oncle dont jamais notre famille n’a évoqué l’existence. Pas de mariage, pas de descendance, on dirait qu’il plane un mystère autour de ce personnage mort accidentellement à trente ans !
La première nuit fut courte, Arthur et moi avons bavardé jusqu’à une heure avancée en échafaudant des hypothèses sur cet aïeul qui nous ont valu quelques fous rires dont nous sommes coutumiers chaque fois que nous nous retrouvons. Le lendemain de notre arrivée, loin de nos investigations, nous partons sacs à dos pour une grande marche dans la montagne. L’été est éblouissant, l’air parfumé de senteurs sauvages. Eloignés de la vie parisienne nous sommes comme deux enfants découvrant un monde nouveau.
Revenons à notre arrière-grand-oncle, peut-être reste-t-il encore dans le souvenir de quelques mémoires. Après la mairie ce sera la deuxième étape de nos recherches, trouver encore des personnes âgées qui auraient pu connaître ou entendre parler d’une histoire se rapportant au sujet qui nous intéresse. Les gens de montagne sont peu bavards et peu enclins aux commérages mais à force de chercher nous trouvons quand même un début de piste au parfum de scandale.
Ce que nous avons appris a dépassé notre imagination et nos folles hypothèses. Thibault, menuisier de son métier, se trouva aussi en charge de l’entretien de l’église. L’année de ses vingt ans on enterra le vieux curé aimé et regretté de tous. Il avait baptisé et marié tous les enfants de Monloup et parfois même du en enterrer quelques uns. La paroisse resta quelques années sans l’office du dimanche que les fidèles allaient suivre dans le bourg voisin.
Puis un jour débarqua un jeune prêtre. Accueilli comme le Messie il fut choyé et gâté par tout le village. Avait-il été envoyé ici par pénitence ? Il était jeune, beau, ambitieux et frustré de se retrouver perdu au milieu de ces quelques ouailles. Sa belle gueule attirait les jeunes filles en mal d’amour qui venaient se confesser plus que de coutume pour passer un moment privilégié avec lui. Il aurait pu dans un film tenir le rôle de Gérard Philipe tant leurs visages se ressemblaient. Thibault et lui avait le même âge et ils sympathisèrent tout de suite. Plus qu’une empathie, un véritable coup de foudre. Le temps qu’ils passaient ensemble dans l’église semblait naturel vues leurs occupations respectives. Thibault lisait à Jean-Luc les contes et les poésies qu’il écrivait sans en avoir jamais parlé à personne, mais un jour le scandale éclata. On les avait surpris main dans la main au détour d’un chemin pendant une promenade. Aucun doute sur leur relation qui fit rapidement le tour du village et plus encore jusqu’à l’évêché. Jean-Luc, c’était le prénom de ce prêtre, fut envoyé en Afrique évangéliser des infidèles et Thibault ne se remit jamais de cette séparation. Mort accidentelle ? Quelques jours après le départ de son ami on retrouva son corps dans un précipice. Si le scandale a éclaté le mystère de la parution de ces livres reste entier. Ignoré, rejeté par toute sa famille il s’est bien trouvé quelqu’un pour porter ces recueils chez un éditeur.
Rentrés à Paris, Arthur et moi avons relu les poèmes et les contes de Thibault mais différemment de la première fois. Nous nous sommes promis plus tard de partager ces pages avec nos futurs enfants pour qu’elles ne se perdent pas et ne tombent pas dans un oubli délibérément souhaité.