La différence

Mic Mardan se dédouble …. ! Les écrivaines ont eu envie d’écrire chacune une nouvelle à partir d’une idée commune : « la découverte de vieux livres de contes ignorés de tous ».
Nous vous présentons ces deux nouvelles : LA DIFFERENCE et LES CONTES OUBLIES
Bonne lecture !

La différence

Cachés dans un coin de la bibliothèque du salon je découvre en cherchant un ouvrage une dizaine de petits livres reliés entre eux par une faveur dont la couleur a jauni d’un certain Thibault Talmon. Je ne savais pas qu’il y avait un écrivain dans la famille, personne ne m’en avait jamais parlé. Ce sont des contes et des poésies illustrés de jolie manière par un peintre aussi inconnu que l’auteur. Les poésies sont dédiées à un certain Jean-Luc en remerciement à des années de bonheur passées et trop vite enfuies. La maison d’édition n’existe plus et je ne trouve aucune date d’impression. D’après mes parents il s’agirait d’un arrière-grand-père qui aurait vécu à Montloup, berceau de notre famille, petite station de sports d’hiver où nous passons chaque année les fêtes de fin d’année.

Je poursuis mes études dans une école de journalisme avec mon cousin Arthur. Nous sommes tous les deux des littéraires contrairement au reste de la famille qui pullule de matheux et d’ingénieurs. On nous laisse à part comme des pestiférés non sans nous avoir souvent rabâché que nos études ne serviront à rien sinon à user nos fonds de culotte sur les bancs de pôle-emploi ! Mais Arthur et moi nous aimons les livres et, n’en déplaise aux autres, nous avons bien l’intention un jour d’en écrire un ensemble ! Fière de ma découverte je cours chez mon cousin avec mon précieux bagage et nous lisons ces contes et ces poésies qui nous enchantent. Voilà un sujet de thèse qui tombe à pic !

Un futur journaliste se doit aussi d’être un enquêteur et en fins limiers que nous sommes nous essayons de percer la personnalité et le mystère qui tourne autour de cet aïeul dont on nous a caché l’existence et surtout les œuvres. Et pourquoi nos parents ou nos grands-parents ne nous ont-ils pas lus ces histoires quand nous étions à l’âge de l’émerveillement ? Autant de questions pour lesquelles nous devrons trouver des réponses. Je feuillète les albums photos les plus anciens et je tombe sur le portrait d’un homme encore jeune habillé comme un montagnard, une canne à la main, un chien assis à ses pieds, aucune légende n’illustre ce portrait mais je suis sûre qu’il s’agit de cet arrière-grand-père, il a dans le regard des pays de rêves.

Les grandes vacances sont proches et au lieu de passer tout l’été à Cabourg comme nous le faisons chaque année, Arthur et moi décidons d’occuper la maison de Montloup délaissée pendant la période chaude. Nous ne connaissons ce village que sous la neige et nous découvrons un endroit plein de charme. Après une installation rapide nous nous rendons à la mairie où nous espérons trouver des documents qui prouvent l’existence de cet aïeul. Je n’ai pas oublié d’emporter la photo prise dans l’album au cas où quelqu’un pourrait l’identifier. Les registres de naissance sont là étalés devant nous et sans remonter très loin nous découvrons un Thibault Talmon, frère de mon arrière-grand-père, donc un arrière-grand-oncle dont jamais notre famille n’a évoqué l’existence. Pas de mariage, pas de descendance, on dirait qu’il plane un mystère autour de ce personnage mort accidentellement à trente ans !

La première nuit fut courte, Arthur et moi avons bavardé jusqu’à une heure avancée en échafaudant des hypothèses sur cet aïeul qui nous ont valu quelques fous rires dont nous sommes coutumiers chaque fois que nous nous retrouvons. Le lendemain de notre arrivée, loin de nos investigations, nous partons sacs à dos pour une grande marche dans la montagne. L’été est éblouissant, l’air parfumé de senteurs sauvages. Eloignés de la vie parisienne nous sommes comme deux enfants découvrant un monde nouveau.

Revenons à notre arrière-grand-oncle, peut-être reste-t-il encore dans le souvenir de quelques mémoires. Après la mairie ce sera la deuxième étape de nos recherches, trouver encore des personnes âgées qui auraient pu connaître ou entendre parler d’une histoire se rapportant au sujet qui nous intéresse. Les gens de montagne sont peu bavards et peu enclins aux commérages mais à force de chercher nous trouvons quand même un début de piste au parfum de scandale.

Ce que nous avons appris a dépassé notre imagination et nos folles hypothèses. Thibault, menuisier de son métier, se trouva aussi en charge de l’entretien de l’église. L’année de ses vingt ans on enterra le vieux curé aimé et regretté de tous. Il avait baptisé et marié tous les enfants de Monloup et parfois même du en enterrer quelques uns. La paroisse resta quelques années sans l’office du dimanche que les fidèles allaient suivre dans le bourg voisin.

Puis un jour débarqua un jeune prêtre. Accueilli comme le Messie il fut choyé et gâté par tout le village. Avait-il été envoyé ici par pénitence ? Il était jeune, beau, ambitieux et frustré de se retrouver perdu au milieu de ces quelques ouailles. Sa belle gueule attirait les jeunes filles en mal d’amour qui venaient se confesser plus que de coutume pour passer un moment privilégié avec lui. Il aurait pu dans un film tenir le rôle de Gérard Philipe tant leurs visages se ressemblaient. Thibault et lui avait le même âge et ils sympathisèrent tout de suite. Plus qu’une empathie, un véritable coup de foudre. Le temps qu’ils passaient ensemble dans l’église semblait naturel vues leurs occupations respectives. Thibault lisait à Jean-Luc les contes et les poésies qu’il écrivait sans en avoir jamais parlé à personne, mais un jour le scandale éclata. On les avait surpris main dans la main au détour d’un chemin pendant une promenade. Aucun doute sur leur relation qui fit rapidement le tour du village et plus encore jusqu’à l’évêché. Jean-Luc, c’était le prénom de ce prêtre, fut envoyé en Afrique évangéliser des infidèles et Thibault ne se remit jamais de cette séparation. Mort accidentelle ? Quelques jours après le départ de son ami on retrouva son corps dans un précipice. Si le scandale a éclaté le mystère de la parution de ces livres reste entier. Ignoré, rejeté par toute sa famille il s’est bien trouvé quelqu’un pour porter ces recueils chez un éditeur.

Rentrés à Paris, Arthur et moi avons relu les poèmes et les contes de Thibault mais différemment de la première fois. Nous nous sommes promis plus tard de partager ces pages avec nos futurs enfants pour qu’elles ne se perdent pas et ne tombent pas dans un oubli délibérément souhaité.

Les contes oubliés

Les contes oubliés

Parfois en fouillant dans les greniers on trouve des écrits insolites qui nous interpellent. Un jour, en vacances dans la maison paternelle de Savoie, à la recherche de je ne sais quelle relique, je tombe sur un carton qui m’intrigue. Dissimulé par d’autres un peu éventrés, bien fermé par de fines courroies, il apparaît intact. Il contient une dizaine de livres aux pages jaunies d’un certain George Talmon. Je ne savais pas qu’il y avait un écrivain dans la famille, personne n’ayant évoqué ce nom devant moi. Peut-être s’agit- il d’un nom d’emprunt ? Ce sont des contes et des poésies reliés et illustrés de jolie manière par Camille Oder, un peintre aussi inconnu de moi que l’auteur. L’impression a été réalisée entre 1873 et 1883 mais, vérification faite, la maison d’édition n’existe plus. Fin du 19ème c’est la génération de mes arrière-grands–parents. Comment expliquer l’oubli dans lequel cet homme est tombé ? Impossible d’imaginer que cet auteur anonyme ne fasse pas partie de la famille, vu le soin apporté à conserver son œuvre. Un mystère entoure cet aïeul et je l’éluciderai.

Bien au calme dans ma chambre, loin des enfants qui s’amusent dans le jardin, je m’absorbe dans la lecture des livres retrouvés. Je parcours avec exaltation les différents volumes pour saisir l’âme de l’auteur. Excepté le dernier ouvrage intitulé « poésies », les autres sont consacrés à des contes : contes fantastiques, contes poétiques, contes merveilleux, tous destinés à des enfants, semble-t-il, mais avec un sens moral et philosophique que seuls les adultes peuvent comprendre. Ils montrent un sens aigu de l’imaginaire, mêlant réalité et fantasme, emportant le lecteur dans un univers de rêve avec une force émotionnelle étonnante. Une lecture plus approfondie les jours suivants révèle un être aux prises avec des obsessions : par le biais d’un bestiaire, il dénonce la famille cruelle, intolérante, sectaire, étouffant la liberté. Pour moi l’auteur est un homme révolté, poète à ses heures, un peu sorcier, maîtrisant bien notre langue et aimant passionnément la nature. S’agit-il de contes oraux retranscrits par un amoureux des mots ou de créations imaginées par un esprit fécond ? Je ne saurais le dire mais qu’importe, mon propos est ailleurs. Avant de transmettre cet héritage à mes enfants, je dois trouver la réponse à mes interrogations.

Plusieurs pistes se présentent à moi : quelques albums photos, deux cartons de correspondance, et peut-être le Registre d’Etat Civil de la mairie de Chambéry si les archives ont pu être conservées. Je suis consciente que l’enquête sera difficile.

Que sais-je de mon arrière-grand-père ? Peu de chose en vérité. Dans notre famille, au 19ème siècle, la magistrature était une tradition de père en fils pour l’aîné. Mon arrière-grand–père de même que son père étaient juges : notables de province, catholiques convaincus, il est facile d’imaginer une certaine rigidité dans leurs règles de vie. Peu probable que cet arrière-grand-père rigoureux soit l’auteur de ces contes fantastiques ! Qu’en est-il de mes arrière-grands-oncles ? Il y en avait trois. Le premier, officier, était mort en héros à Sedan en 1870 donc trop jeune pour avoir écrit ces livres. J’élimine le deuxième entré au séminaire à l’adolescence, devenu missionnaire en Afrique. Un missionnaire-conteur révolté, on a peine à le croire ! Je concentre mes recherches sur Archibald mon dernier arrière-grand-oncle. Rebelle, provocateur, il avait à 25 ans claqué la porte de ce milieu qui l’étouffait et avait émigré au Mexique sans donner de nouvelles ni sans officiellement réapparaître. Mon grand-père avouait que son oncle baroudeur faisait fantasmer tous ses neveux. Peut-être est-ce là un indice fort pour mes recherches ? Un aventurier-écrivain pourquoi pas ?

Aucune révélation dans les cartons de correspondance, pas de lettres privées juste une abondance de cartes postales d’amis et de parents envoyées de partout sauf du Mexique. La surprise vînt d’une valise ordinaire que j’avais toujours crue vide portant, un peu effacée, la mention « documents administratifs ». Au milieu de contrats en tous genres, apparait le livret de famille des parents de mon arrière-grand-père et de ses frères.

Ce précieux trésor me révèle une incroyable surprise. Ce document fait état de 5 enfants : les 4 garçons, mon arrière-grand-père et ses trois frères, et une fille Sophie née vivante le 30 août 1845 ! Je suis sous le choc, assommée par cette découverte. S’agit-il d’un secret de famille bien caché et qu’est devenue cette Sophie ?

Les albums photos vont peut-être m’aider à dénouer cette énigme. Elles sont peu nombreuses et jaunies, mais j’en retrouve deux réalisées par le photographe local : une en 1850 d’une petite fille entourée de quatre garçonnets, une autre d’une communiante faite six ans plus tard qui ne peut être que Sophie. En vrac dans le carton, je découvre une photo prise à l’institution Notre Dame à Chambéry en 1862 où parmi la vingtaine de jeunes filles une d’entre elles, marquée d’une croix, est Sophie. Elle a 17 ans. Qu’est-elle devenue ensuite ?

Mon esprit va bon train. J’invente une vie à Sophie : elle a vécu ailleurs pour être libre et elle est morte dans cet ailleurs puisque sur la pierre du caveau familial son nom n’y figure pas ni celui de son frère Archibald. Peut-être est-elle allée le rejoindre et peut-être ont-ils écrit ces contes ensemble ? Une autre idée me vient en tête. Peut-être a-t-elle eu le même destin que Camille Claudel : éloignée, rejetée, internée pour troubles mentaux et bannie par sa famille ? Et les contes dans tout ça me direz-vous ? J’y arrive. Le hasard faisant bien les choses parfois, quelques mois après mes vacances en Savoie je retrouve indirectement la trace des contes. Invitée par une amie peintre au vernissage d’une exposition parisienne sur le graphisme et le dessin féminin au 19ème siècle, je lis, au bas de plusieurs gravures, Camille Oder, le même nom que celui des livres de George Talmon. Sous le choc, j’interroge mon amie sur et voilà ce qu’elle me dit : « Camille Oder était une femme connue du Paris artistique de la fin du 19ème pour sa créativité et surtout pour son homosexualité assumée et sa vie amoureuse agitée. Elle était toujours à l’écoute de talents nouveaux, de sexe féminin, qu’elle accueillait chez elle et qu’elle soutenait. C’était souvent de très jeunes femmes en rupture avec leur famille, auteures à la recherche d’un éditeur ou d’un illustrateur, peintres cherchant un mécène. Fidèle en amour comme en amitié, certaines sont restées ses amies de cœur pendant longtemps ».

Bien sûr, je n’en aurai jamais la certitude, mais j’imagine que Sophie a croisé la route de Camille, qu’elle l’a aimée, qui l’a aimée et aidée à composer ses contes tout au long des années. Elle a choisi ce prénom George en hommage à George Sand qu’elle admirait et en pied-de-nez à son milieu qui l’a toujours rejetée n’acceptant pas sa différence. Reniée à jamais Sophie n’existait plus pour les siens.

Ainsi George, auteure de ces merveilleuses histoires, serait Sophie mon arrière-grand-tante ! Une question demeure : qui a envoyé cette collection de livres à la famille et qui a voulu les conserver malgré l’omerta générale ?

Ce soir je lirai le premier conte à mes enfants.

Nota de l’auteure de la nouvelle : le prénom de Georges sans « s « aurait dû m’alerter et j’en demande pardon à mes lecteurs.

Ni ni ou comment s’en passer ?

Ni ni ou comment s’en passer !

Addict, drogué, accro, dépendant, voilà ce que j’étais. !
Je ne pouvais me passer des outils de communication du 21 ème siècle : les trois « I » des connaisseurs : iPad, iPhone, iPod, sans oublier l’incontournable MAC ou PC. J’étais en attente permanente des systèmes les plus innovants, les plus performants. Capable de me lever à l’aube pour être le premier devant la FNAC pour disposer du petit dernier mis sur le marché par les grandes multinationales. Je vivais en connexion permanente avec un autre monde, le casque vissé sur mes oreilles, le smartphone en position vibreur collé sur ma poitrine, l’ordinateur qui accompagnait huit heures durant mon travail à la banque ainsi que mes longues soirées de célibataire. Petit employé, loin des brillants traders, je manipulais à longueur de journée des milliers de chiffres encore des chiffres, toujours des chiffres : j’étais le poinçonneur des lilas de Gainsbourg version moderne. Le monde virtuel remplaçait insidieusement le monde réel. Je devenais l’aliéné parfait, le dingo complet. J’avais laissé tomber mes copains. Mes nouveaux amis étaient des abrutis de mon espèce agglutinés sur facebook, des dégénérés des réseaux sociaux et des accros foutraques des jeux en ligne. Ma copine m’avait largué ou c’était moi qui l’avais jetée, je ne sais plus, et ma sexualité se réduisait à des rapports virtuels sur des sites pornos.
Le jour de mes vingt-cinq ans une voix venue d’ailleurs m’a interpellé avec fracas : tu te crois un homme libre, tu n’es qu’un esclave, un pantin aux mains d’esprits malins et destructeurs, un minus. Aie le courage de dire NON une fois dans ta vie, secoue-toi mon petit vieux !
Impossible de rester dans cet appartement truffé d’électronique ni dans cette ville connectée à chaque coin de rue. Je prends un sac à dos, quelques vêtements et un peu de liquide. Je trouverai bien des petits boulots pour assurer la bouffe quotidienne. L’autre jour j’étais chez un brocanteur et à côté de moi voyant un pupitre d’écolier un petit garçon demanda à son père à quoi servait le trou à droite. Son père lui répondit que c’était la place de l’encrier et que les enfants y trempaient leur plume pour écrire ! Vais-je ressortir l’écritoire, la plume d’oie et le parchemin de mes ancêtres ?
Heureusement que le printemps pointe son nez ! S’il doit y avoir des nuits à la belle étoile, à vingt-cinq ans je peux encore dormir dans le foin, boire à la source, me nourrir de fruits volés dans les arbres et plonger dans des lacs d’eau douce. Je ne sais pas si, en hiver, j’aurais eu le courage d’abandonner mon petit confort ! Je vais devoir éviter tout ce qui ressemble à une quelconque civilisation, il doit bien rester encore dans ce pays des hommes préhistoriques ! Je pars vers le sud. J’ai lu quelque part que les gens du nord était plus civilisés alors je vais à contre sens de cette civilisation qui fait de nous des robots, des machines à explorer l’espace temps pour que nous n’ayons plus à penser mais seulement à suivre les directions qu’on nous impose. Aujourd’hui je dis NON, ce sera la galère ou la renaissance.
L’autostop marche encore pour des jeunes au look convenable et je me retrouve par le hasard de mes rencontres successives dans un coin isolé du Vaucluse. C’est un de ces villages provençaux perché sur une colline surplombant la Durance regroupant ses maisons étroites dans des ruelles tortueuses, autour d’un vieux château. Sur la placette centrale, ombragée par un platane que j’imagine centenaire, se trouve une épicerie, vraie caverne d’Ali Baba, où j’achète calepin et crayon. Je vais noter au fil des jours mon expérience d’homme libre, à l’ancienne, sans tablette ni ordi, plume d’oie exclue on n’est plus au moyen-âge tout de même ! J’écris les premières lignes attablé dans le bistro d’en face. Je ne sais pas de quoi demain sera fait mais je suis heureux. Carpe diem est désormais ma devise ! Un soleil printanier met du bleu dans le ciel et réchauffe mon cœur. Mes doigts ont un peu perdu l’agilité de l’écolier et passer du clavier au crayon est un exercice compliqué ! Qu’importe si le tracé est hésitant !

Six mois déjà que je sillonne la France. J’ai eu plusieurs fois envie de poser définitivement mon sac à dos pour une belle rencontre, des moments de partage ou pour des paysages éblouissants qui resteront à jamais gravés dans mon cœur, et à aucun moment je n’ai regretté cet éloignement. Je suis passé du printemps à l’été, de la fleur en bourgeon jusqu’à l’éclosion et je m’aperçois que cette métaphore représente ma vie. J’ai grandi, j’ai changé, je suis devenu un adulte libre, responsable de ses choix. Je n’ai plus peur du retour car je sais de quoi sera fait mon futur. Je n’échapperai pas aux techniques nouvelles mais ce sont elles qui me serviront et non le contraire. Dans mon nouveau travail je ne serai plus victime des chiffres que je saurai tenir à distance ! Je retrouverai mes copains d’avant et le culte de l’amitié. Je découvrirai l’amour vrai sans passer par les sites de rencontre. Quant à mes loisirs, le travail terminé, mon sac à dos est là près de la porte d’entrée.

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Dans mes rêves

Dans mes rêves ,

Dans mes rêves
Des mots, une rime, un vers, un poème
Les voyelles colorées « A noir, E blanc, I rouge, ….»
Des désirs de bateau ivre sur des fleuves impassibles
Le temps qui fuit comme la Seine sous le pont Mirabeau
O mon unique amour et ma grande folie … !
Que vais-je devenir ?

Dans mes rêves
Des partitions, des notes de musique… mi sol do fa
Un concerto de Mozart une mélodie de Voulzy
Un accord de guitare sous les doigts de Brassens
Une petite cantate obsédante et maladroite
Un cri d’amour et de rage du grand Jacques
Ne me quitte pas !

Dans mes rêves
Des livres en désordre dans la bibliothèque
Où le grand Meaulnes côtoie l’écume des jours
Et près des Paddenas la sublime côte sauvage
Un océan de poésies écrites sur le sable
Et sous le vent les voiles gonflées
Des bateaux en partance vers des iles dorées

Dans mes rêves
La palette d’un peintre qui jette sur la toile
L’or des tournesols éclatants de lumière
Le ronronnement du chat qui s’étend près de l’âtre
Où grillent les châtaignes de l’automne
Ramassées sous les feuilles du petit bois joli
Et dans mes rêves un printemps de roses

Une rencontre

Vingt ans et la même quête de spiritualité. Une italienne brune aux yeux verts et un irlandais aux cheveux roux et au teint transparent. Leur rencontre eut lieu à Rome à l’occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse où des milliers de jeunes catholiques se retrouvèrent  avec la même foi et le même enthousiasme.  Le hasard voulut qu’ils posent leur sac côte à côte le premier jour place St Pierre pour la cérémonie d’ouverture. La sympathie fut immédiate . Ils  partagèrent les prières, les chants et les danses et au cours des longues veillées ils refirent le monde avec la passion de leur vingt ans . Peter débordait de vitalité, et amusait tout le monde par sa gestuelle et son italien approximatif .Quand un mot lui manquait il le remplaçait par de l’anglais ou par une mimique qui faisait éclater de rire Maria . Il assurait faire partie d’un groupe de théâtre à Dublin et prétendait qu’il s’agissait de la  « comedia del arte » mais personne ne le croyait ! Maria l’italienne était la séduction même avec ses longs cheveux bruns, son ovale de madone et son sourire d’ange. Réincarnation d’un modèle de Botticelli disait Peter admiratif  !. Ainsi était née spontanément entre ces deux-là une amitié sans frontière, un lien fort qu’ils espéraient bien poursuivre.

Vint le jour du départ, le sac à dos plein de souvenirs, le smartphone rempli de photos, d’adresses et de n° de téléphone. Des accolades, des embrassades et dans les cars qui les ramenaient chez eux déjà les SMS s’affichaient sur l’écran des mobiles. Maria partait à Florence et Peter prenait un avion pour Dublin. Des chants s’élevaient  prolongeant ainsi ces journées d’amitié et de partage. Maria ne chantait pas avec les autres triste d’avoir quitté Peter . Dans le brouhaha général ils ne s’étaient pas parlé, ils avaient  à peine échangé un regard et il l’avait quittée avec une bise rapide sur la joue. Pourquoi n’avait-il pas eu un geste tendre se disait Maria avec regret ? Dieu avait-il exclu de ces journées  les amours entre jeunes et voulait-il garder pour lui seul ces élans de ferveur ? Maria était venue  ici avec des milliers d’autres pour exprimer sa foi  et son désir de vivre.  Elle  avait envie de chanter, de rire, de croire au bonheur. Cette rencontre avec Peter avait ouvert pour elle le champ du possible.

Peter ne se posait pas ce genre de questions. Direct et communicatif il vivait l’amitié au quotidien au milieu des filles et des garçons de son quartier. Il était venu à Rome par conviction et pour rencontrer d’autres jeunes. La gentillesse de Maria et son sourire lumineux l’incitèrent à poursuivre leur relation dès son retour à Dublin. Dans un italien hésitant, il lui envoya un premier mail lui contant son voyage de retour et lui disant sa chance de l’avoir connue ;. S’en suivirent d’autres où ils apprirent à mieux se connaître . Leurs échanges étaient chaleureux, toujours joyeux  mais empreints d’une certaine retenue affective que Maria mettait sur le compte de cultures différentes. : une Italie extravertie face à une Irlande pudique .

Dans ses mails Maria évoquait souvent Florence où elle espérait voir bientôt. Peter.. Elle aimait sa ville et en parlait avec passion. Son bavardage amusait Peter ainsi que les photos insolites qui accompagnaient ses messages.. Maria l’incitait à venir à Florence pendant les vacances, mais il ne s’engageait pas prétextant un soi-disant travail d’été.. Maria sentait une gêne qu’elle ne s’expliquait pas. Elle pensa qu’il avait une amoureuse  mais cette supposition fit rire Peter.  Avant la rentrée universitaire, elle ne résista pas et prit un billet d’avion  pour Dublin.

Informé de cette venue impromptue, Peter comprit que Maria se méprenait sur le sens réel de leur relation qu’il avait toujours voulu amicale. Son silence avait entretenu un malentendu qu’il se devait de dissiper au plus vite. Avec gravité, ce qui n’était pas son ton habituel, il lui annonça son entrée au séminaire et son désir profond de devenir prêtre.

 

 

Une soirée moche

Une soirée moche …

Ce soir là Séverine et moi avions envie de nous changer les idées. Ces journées interminables au bureau à recevoir les ordres de cette cheffe revêche, quand enfin le week-end arrive nos cerveaux ont besoin de prendre l’air. Donc, samedi soir sortie en discothèque, maquillées, coiffées, habillées, prêtes à séduire le plus rebelle des garçons. Nul besoin de partenaire la musique entraînante nous mène sur la piste et nous rejoignons les danseurs qui se déhanchent à qui mieux- mieux.

Il est arrivé vers moi avec un sourire enjôleur qui ferait fondre n’importe quelle minette. Moi, méfiante comme je suis, j’ai d’abord tourné le dos en me rapprochant de Séverine. Mais il était de nouveau devant moi avec son sourire figé comme si un photographe l’avait immortalisé. C’était bien moi qu’il draguait ! J’ai pensé après tout, que je n’étais peut-être pas aussi moche qu’on le dit, la preuve c’est que je peux plaire à un garçon même si la lumière tamisée ambiante cache sûrement mes imperfections. J’ai laissé tomber les verres cul de bouteille pour des lentilles qui corrigent ma myopie et j’ai retiré pour un soir l’appareil dentaire qui tente d’améliorer la disposition d’une denture récalcitrante. J’ai donc mis toutes les chances de mon côté bien que le reflet du miroir ne me renvoie pas un visage des plus avenants. Quant à ma chevelure, elle serait belle s’il n’y avait quelques épis qui me poussaient sur la tête. Bref, certains jours, je ressemble à la caricature de la jeune fille qu’un dessinateur humoristique aurait croquée dans Charlie-hebdo. Pour le reste du corps, c’est plutôt pas mal, il y a pire. La pénombre est là et j’arrive, tant bien que mal, à me fondre parmi les danseurs.

Le DJ met un slow quatre heures du matin et mon partenaire me serre soudain vigoureusement contre lui me coupant le souffle, je commence à avoir du mal à respirer, je dois ressembler à mon poisson rouge sorti de son bocal. Un regard vers Séverine qui ressemble à un appel au secours mais elle s’est trouvée un gentil minet et roucoule dans ses bras. Je suis seule au monde, entraînée malgré moi dans cette danse avec un cavalier qui m’étreint si fort, je crois que je vais mourir.

Croyez-le ou non, il ne m’a pas lâchée de la soirée ! J’ai été la seule partenaire d’un adonis qui, en plus d’être beau, avait un bagou que lui envieraient les plus bavards des camelots des trottoirs parisiens ! Au moment de quitter la scène, plus de Séverine, elle s’était éclipsée avec son minet sans même un au-revoir. Les slows terminés, mon danseur me prend par la main et m’entraîne à l’extérieur. J’habite à côté je pense donc le quitter devant la porte cochère qui mène à mon petit appartement. Mais il passe le pas de la porte derrière moi et me suit jusqu’au septième étage, là où se cache mon petit nid. Nous passons une nuit délicieuse, ce soir là j’ai vraiment touché le gros lot, quand je vais raconter ça aux copines elles ne me croiront pas !

J’ai déchanté lorsque, en me quittant au petit matin, pressé de rejoindre ses copains, mon amant d’un soir m’a remerciée en m’avouant qu’il avait gagné son pari !

La bonne recette

     L’écriture à quatre mains n’est pas toujours facile, pourtant elle s’est imposée d’elle même. C’est comme une recette de cuisine: si vous avez les bons ingrédients et que vous les mélangez au bon moment, le succès est assuré. Après quarante années de silence deux amies se retrouvent par hasard et pour consolider cette amitié elles décident d’écrire ensemble pour leur plaisir et pour qu’il reste d’elle une trace.

    Au début c’est un jeu qui prend peu à peu des allures de compétitions, d’empoignades, de fous rires et de coup de colère avant d’aboutir à un texte agrée.

     Résultat nous avons déjà publié chez Edilivre des romans, des nouvelles et un recueil où nous avons fourré des histoires courtes, des contes et des poésies. Fières de notre avancée, nous continuons à écrire pour publier un recueil 2, pour notre plaisir, le vôtre aussi peut-être et garder intacte notre complicité.

Le château hanté

Le château hanté

Anna ! Elle a levé la tête et s’est aussitôt mise debout laissant tomber le livre qu’elle tenait dans ses mains. Légère et gracieuse, blonde au teint clair, elle a eu dix ans hier.

L’appel de son père résonne comme un reproche. Lovée dans un grand fauteuil de la bibliothèque, sa place favorite, face aux livres qui tapissent les murs, elle s’est sentie coupable sans savoir pourquoi.

Anna ! Demain c’est la rentrée scolaire et tu vas devoir t’intéresser à autre chose qu’à la lecture. Tu commences le latin, l’anglais et les mathématiques, ta place est désormais dans ta chambre devant ton bureau et je ne veux plus te voir ici. Anna regarde son père avec un air contrit puis ses yeux se portent loin au-delà de la fenêtre qui donne sur un jardin fleuri où l’on entend des cris et des rires d’enfant. Son père parti, elle reprend son livre et sa frêle silhouette disparaît à nouveau au fond du fauteuil.

Lui s’interroge sur le bien fondé de sa remarque : pourquoi ce reproche alors qu’Anna est douée pour les études ? Tout s’inscrit si facilement en elle, son intelligence et sa mémoire émerveillent ses instituteurs. Aucun de ses frères n’a cette curiosité insatiable presque inquiétante pour une enfant de dix ans. Parfois le regard d’Anna le trouble, il voudrait arrêter les interrogations de sa fille, la libérer des livres et l’envoyer jouer dans le jardin avec les autres. Mais le désir de l’enfant est si fort qu’il la laisse vivre sa passion. Il se dit qu’un jour la vie lui ouvrira d’autres horizons.

Anna est née le 30 septembre 1950. Après la venue de trois garçons, c’est la fille tant espérée et tout de suite elle prend une place privilégiée dans le cœur de son père. Que de soirs a-t-il passés à son chevet lui racontant les histoires de ses livres préférés pour l’endormir et quand une méningite avait failli l’emporter, il ne l’avait pas quittée. Son enfance s’est forgée au rythme de ces lectures et la bibliothèque est devenue sa thébaïde. Nul doute que son avenir s’inscrira, de quelque façon que ce soit, dans les pages d’un livre.

Mai 68, admise à la Sorbonne, Anna vit mal la révolte des étudiants.  Après la mort brutale de son père elle se sent bancale sans son fidèle protecteur. Plus personne sur qui s’appuyer et surtout pas sa mère avec qui le conflit est incessant. Elle lui préfère ses garçons entreprenants, drôles et affectueux mais surtout elle en veut à sa fille d’avoir polarisé l’amour de son père la privant ainsi de moments de tendresse privilégiés avec son mari. Dans l’immédiat, Anna cherche un job d’étudiant pour ne plus avoir à subir les reproches d’une mère qui la rejette. Ses frères aînés sont tous indépendants, mariés pour deux d’entre eux et elle veut payer ses études avec ses propres deniers.

Une place de pion se libère dans un lycée proche et Anna obtient le poste. Elle découvre l’envers d’un décor qui a fait le quotidien de son enfance. Ne plus voir les enseignants comme des censeurs mais les découvrir comme des quasi-égaux. Le lycée est réputé calme et la surveillance des élèves ne pose pas de problème particulier. Elle profite donc des permanences pour travailler ses cours. La bibliothèque est son lieu de prédilection et la responsable, toujours très bavarde, la met au courant des habitudes de la maison et l’incite à aller dans la salle des profs où beaucoup sont à peine plus âgés qu’elle. Le dialogue est immédiat avec les professeurs de lettres. Parmi elles il y a Marie qui vient de fêter ses 28 ans, vive et sûre d’elle, elle est ce que la timide Anna souhaiterait être : appréciée de ses élèves, estimée de ses collègues et de sa hiérarchie, aimant son métier et éprise de littérature. Elle est subjuguée par la vitalité et la force de vie de cette jeune femme qui l’accueille avec chaleur et empathie. Cet élan mutuel se transforme vite en une véritable complicité. Voilà le soutien que recherchait Anna depuis la mort de son père, quelqu’un qui croit en elle et lui redonne confiance. Marie a senti en sa nouvelle amie, au-delà d’une même passion pour les grands auteurs, un réel talent d’écrivain. Plus qu’une pépite, une mine d’or, s’est écriée Marie en lisant un texte de son amie. A part quelques poésies et des pages noircies pour son seul plaisir, difficile de convaincre Anna de se lancer dans l’écriture d’un roman. Elle préfère aider Marie dans le choix des textes à travailler en classe, lui prépare des fiches sur les auteurs, quelque fois même elle participe à la correction des copies. Tout en étant pourtant très différentes, elles s’entendent à merveille. Marie est extravertie, créative, imaginative, impulsive alors qu’Anna est posée, réfléchie et secrète. En dehors de leur passion commune pour les belles lettres, elles se sont trouvé un même goût pour la danse. Marie fait partie d’un club qui s’adonne à la chorégraphie moderne et elle réussit à y entrainer Anna. D’abord réticente, ne connaissant que les pointes et les tutus de son enfance, elle se laisse peu à peu séduire par le rythme et la musique contemporaine. Dans le sillage de Marie, Anna s’ouvre à la vie et se sent bien au milieu de ces garçons et de ces filles plus âgés et plus libérés. Sur la piste où elles se déchaînent, dans leur collant noir qui moule une même morphologie fine, on dirait des jumelles. Elles cultivent la ressemblance en coiffant leurs longs cheveux blonds de la même manière. Marie, toutefois, surveille sa protégée comme le ferait une sœur aînée pour éviter qu’elle ne se disperse. Depuis qu’elle a lu les écrits d’Anna elle veut valoriser ce don qu’elle-même n’a pas, comme on exploite dans une mine une pierre précieuse. Professeur de lettres elle l’est devenue par nécessité pour gagner sa vie et même si elle réussit dans ce métier son vrai désir est d’écrire et surtout d’être publiée. Elle fourmille d’idées et a déjà proposé à des éditeurs trois romans qui ont tous été refusés car insuffisamment aboutis. Anna a ce que je n’ai pas pense Marie : une écriture, à nous deux le succès est assuré.

Comment s’approprier le bien d’autrui sans que cela paraisse visible et intentionnel ? Le talent d’Anna fascine Marie. Ça parait tellement simple pour elle d’aligner les mots, les phrases, les paragraphes, qu’elle nourrit envers sa protégée un désir irrépressible de capter ce trésor caché. Le serpent enveloppe sa proie pour mieux l’étouffer, c’est ainsi que Marie cajole Anna. Les vacances approchant elle met au point sa stratégie. Anna n’a nulle envie de passer ses congés dans sa famille dont elle s’éloigne de plus en plus, seul son plus jeune frère dont la ressemblance avec le père est frappante reste en contact avec elle. Elle accepte donc la proposition de Marie. Deux mois dans une petite île bretonne à écrire toutes les deux devant l’océan sauvage, deux mois de travail intense avec pour compagnie juste une femme pour les courses, le ménage et la cuisine. Anna en rêvait ! Elle ressent pour Marie des sentiments équivoques qu’elle ne lui avouera jamais. Trop timide, trop réservée Anna ne prononcera jamais les mots qui l’étouffent, ou alors dans un roman quand elle prêtera ses traits à un personnage. Les mots seront dits dans la bouche d’une autre. Quelques jours et le scénario du roman est prêt. Elles travaillent d’arrache-pied dès le petit matin, elles se sont donné deux mois pour écrire leur premier roman et un mois pour courir les éditeurs dont Marie se chargera seule.

Anna n’en revient toujours pas. Elle est là en plein été avec Marie dans une île merveilleuse où elle respire à plein poumons un air iodé aux parfums d’embruns et de sel. Avant le réveil de Marie elle enfile un short et des espadrilles et court en direction de la plage et de la mer. Elle est libre. Elle n’a jamais ressenti une telle liberté. Elle aime marcher sur le sable encore mouillé et sauter de flaque en flaque comme un jeune cabri assoiffé d’espaces. Si la marée le permet elle enlève short et maillot et plonge nue dans une eau bien fraîche aux reflets d’émeraude loin de tout regard. Elle se laisse porter par les vagues et son esprit s’évade loin de son quotidien d’étudiante sage. Elle aime l’attraction que Marie exerce sur elle et fait tout pour lui être agréable. Elle sait qu’elle ne doit pas traîner car un retour un peu tardif provoque chez son amie impatience et irritation. Sa priorité est l’écriture et la distance qu’Anna prend avec leur emploi du temps provoque vite son mécontentement. Son regard habituellement enjoué et rieur se durcit et le pygmalion exigeant prend le pas sur l’amie. Anna verse des larmes la nuit tant la pression qu’elle subit la traumatise. Le roman avance pourtant bien, Marie sait tirer d’Anna le meilleur et l’oblige a aller au plus profond d’une idée, à préciser une pensée, à saisir le plus petit détail qui donnera du relief au texte. Les conseils de Marie font progresser Anna et la qualité du récit s’améliore. La première rédaction du « château hanté » terminée, les deux amies fêtent joyeusement l’évènement dans le seul restaurant de l’île avec fruits de mer et vin blanc frais. Les yeux de Marie brillent de bonheur et Anna savoure ces moments de complicité sans imaginer les arrière-pensées de sa partenaire. Ce livre pense-t-elle scellera à jamais leur amitié. Dès le lendemain les jeunes auteures reprennent le travail. Anna regarde l’océan bordé d’écume, son esprit est ailleurs, elle pense à son père, aux moments privilégies qu’ils ont partagés, la tristesse envahit son cœur, comme il serait fier d’elle ! Mais l’exigence de Marie est là et pousse Anna à rechercher la perfection. Quelle progression et quelle maitrise pour la jeune étudiante qui peu à peu prend conscience de ce don qu’elle possède à faire vibrer un texte par l’évocation d’images, de sensations et le choix des mots. Marie a révélé le talent d’Anna et cette dernière ne l’oubliera jamais quoiqu’il arrive. Le roman est terminé alors que les vacances s’achèvent.

Anna reprend ses études en fac et Marie, en principe, son poste de professeur de lettres avec pour mission de faire éditer « Le château hanté ». Les semaines passent sans que Marie donne de ses nouvelles. Anna vit mal cet abandon .Cela fait plus de dix mois qu’elle se voit tous les jours et pendant deux mois elles ne se sont pas quittées. Pourquoi un tel silence ? Où est Marie ? Anna questionne le lycée. On lui parle d’un congé sabbatique d’un an pour motif personnel. Le téléphone ne répond pas et son studio est vide.

Quelques mois plus tard l’information tombe dans les media : la révélation d’une jeune auteure Marie Dupuis pour son premier roman publié chez Gallimard « Le château hanté » Anna les larmes aux yeux assiste impuissante au triomphe de son amie. Elle ne peut croire que Marie soit capable d’une telle malversation. Et pourtant la vérité éclate au grand jour : interrogée sur les plateaux de télévision à propos de l’écriture lumineuse et forte à la fois de son livre, Marie très à l’aise répond souriante qu’elle a été portée par la grâce. Au sentiment de vol et d’usurpation s’ajoute pour Anna la souffrance d’avoir été trahie par celle en qui elle avait mis toute sa confiance.

Marie continuera à écrire mais les critiques seront très dures et ses livres se vendront mal. Anna et Marie ne se reverront pas. Anna deviendra une grande romancière reconnue de tous. Elle n’oubliera jamais ce bel été de travail et de passion dans cette petite île bretonne et quand le temps aura effacé la blessure, elle rendra hommage publiquement à Marie Dupuis car sans elle, dit- elle, je ne serais rien.