Le fleuve

Le fleuve

     Depuis une semaine les neiges ont commencé de fondre et la montagne a perdu ses couleurs virginales. La terre se réchauffe. D’un filet d’eau il deviendra bientôt un rugissant en se frottant aux roches et de cascades en cascades il atteindra le bout de sa course. Dans son périple il rencontrera des lacs aux eaux d’un bleu profond et s’attardera sur ses berges où paissent d’étranges animaux empruntés à un autre temps. Comme des serpents ses cingles tourmenteront son cours, on essayera de le dévier, de l’apprivoiser mais sans succès. Il est trop fier de sa beauté. Il restera sauvage jusqu’à ce qu’un mascaret l’entraîne vers des eaux plus salées, alors il ira se jeter dans la mer comme un roi qui abdique.

  

Le facteur

     Il fait sa tournée à vélo comme chaque jour dans le quartier qui lui est dévolu. Il s’arrête un moment devant la maison d’une vieille dame qui jardine avec application. Un sourire, un bonjour, mais à part quelques prospectus, jamais de courrier, pas même pas une carte postale à l’occasion des fêtes à mettre dans cette jolie boîte à lettres en forme de nid d’oiseau dont le nom Anne-Laure Dumoulin s’affiche en lettres dorées. On imagine, à voir tout le soin apporté à ces détails, une dame soignée, délicate au goût un peu suranné. Le facteur est chagrin ! Personne ne pense donc plus à elle ! Elle qui ferait sûrement le bonheur de nombreux petits-enfants. Privé très jeune de ses grands-parents il aurait aimé avoir une grand-mère comme elle. Ses cheveux blancs tirés en arrière et relevés en chignon, un tablier qui lui serre la taille, sa canne accrochée à un arbuste, la vielle dame retourne la terre, coupe les fleurs fanées et marche en claudiquant.

     Souvent il se demande ce qui se cache derrière les murs de ces maisons. A part pour les lettres recommandées il ne voit pratiquement jamais les occupants et souvent son imagination déborde et l’entraîne au-delà de toute réalité. Ses collègues le surnomment le rêveur ou le fou avec ses histoires à dormir debout ! Noël approche et comme chaque année il va distribuer des lettres et des colis jusqu’au débordement des boîtes. Mais rien pour le numéro 64 de la rue Boileau. Ce soir il prendra son plus beau papier et rédigera une lettre à l’attention de cette vieille dame en s’appliquant pour éviter les expressions de langage des jeunes. La langue française a déjà tellement changé depuis l’emploi des sms que parfois lui-même s’y perd. Notre facteur a l’âme d’un enquêteur. Son rêve secret était d’entrer dans la police, de résoudre des affaires, de fouiner jusque dans l’intimité des gens mais il a échoué au concours d’entrée.

     Madame,

     Pardonnez mon audace en vous adressant cette lettre. Je suis votre facteur et je vous aperçois souvent dans votre jardin bêchant la terre avec application mais je n’ai jamais encore osé m’arrêter pour vous saluer et vous demander l’espèce rare de ces roses qui pourraient garnir le devant de ma maison qui se trouve à la sortie de la commune . Un jour peut-être pourrons-nous échanger quelques mots lors de mon passage quotidien dans cette rue tranquille où vivent essentiellement des personnes âgées et où les faits divers ne défraient pas la chronique.

     Son travail de facteur ne l’occupant pas à plein temps, il donne un coup de main aux archives de la mairie. Ce quartier c’est son fief. Etant donné l’âge avancé des résidents il doit bien y avoir quelques histoires, quelques scandales oubliés ou étouffés dans cette pièce abandonnée où s’entassent des dossiers poussiéreux. Et puis un jour il tombe sur la photo d’une jeune femme impliquée dans une affaire de recel d’objets volés avec atteinte à la personne . Le journal local relate les faits sans trop de détails, faits qui se sont terminés pour la coupable par trois ans d’emprisonnement. Et puis plus rien qu’une maison à l’abandon. Notre facteur, attiré par la beauté singulière de cette jeune femme, essaye auprès des plus âgés de glaner quelques informations. Il apprend que l’inconnue, sa détention terminée, avait dû quitter la ville tout en conservant la maison qui resta inhabitée de longues années.

     Il n’était pas encore en poste quand la maison fut ré-ouverte. D’après ses collègues l’occupante résidait là depuis une dizaine d’années. Solitaire, elle ne participait jamais aux repas que la mairie organisait pour tenter de rapprocher les personnes âgées comme cela se fait dans beaucoup de communes de France, ni aux voyages organisés en car destinés à la découverte de la région.

     Notre facteur ne sut jamais si sa lettre avait été lue par sa destinataire. Juste l’habituel signe de tête quand il passait devant sa maison. Il en fut bien peiné tout en espérant qu’un jour elle romprait le silence. Peu de temps après cette tentative de dialogue, l’Administration le changea de secteur et il ne passa plus lors de sa tournée devant la maison de la vieille dame. Il oublia Anne-Laure Dumoulin. Trois années passèrent jusqu’à ce jour où se produisit un évènement inattendu. Rendant visite à une vieille cousine retirée dans un Ehpad d’une commune voisine il crut à un mirage. Parmi les pensionnaires qui profitaient du très beau jardin mis à leur disposition, il reconnut sans aucun doute Anne-Laure Dumoulin. Interrogée, sa cousine lui confirma que c’était bien elle et ajouta qu’elle était arrivée deux ans auparavant et que peu à peu, jour après jour, elles étaient devenues très proches. Elle s’était confiée, lui avait raconté sa vie pleine de rebondissements en disant dans un sourire complice qu’elle aurait pu en écrire un roman. Après ces confidences la maladie d’Alzheimer s’était infiltrée peu à peu en elle au point que tous ces souvenirs s’effaçaient. Pas question pour elle de reconnaître son facteur ! C’est avec les informations recueillies par sa cousine que le facteur découvrit la vie d’Anne-Laure Dumoulin.  Cela lui donna l’envie d’écrire ce récit.

Née dans une famille bourgeoise Anne-Laure  est une enfant non désirée, quatrième d’une fratrie de filles en décalage d’âge avec ses aînées. Ses parents propriétaires d’un haras près d’Orléans sont trop occupés pour prendre soin d’elle.   Elle est confiée à une employée de maison très dévouée qui lui prodigue attention et amour. C’est elle qui lui fait découvrir le plaisir de la lecture en lisant et relisant à cette petite fille insatiable tous les contes pour enfants. En grandissant elle développe son goût pour la littérature, sa passion pour les chevaux et son besoin d’indépendance. En dépit de son attirance pour le monde animal qui la rapproche de son père   elle est une adolescente en conflit avec les codes imposés, rebelle, nourrie de Rimbaud, Verlaine, Nerval et autres poètes maudits, attendant sa majorité pour abandonner ce milieu familial bourgeois étouffant.  A dix-huit ans elle quitte la maison de Sologne pour Paris où elle partage un studio avec une copine. Commencent alors les années de galère, les petits boulots et les mauvaises fréquentations. Elle s’acoquine avec un voyou  chef de bande et participe au vol avec violence sur personne d’un entrepôt de matériel hifi. Arrêtée, inculpée, elle purge trois années de prison.

    Pas question de renouer avec une famille qui l’a complètement abandonnée. A part la plus proche de ses sœurs qui lui rend visite en cachette de ses parents, elle vit trois ans de solitude avec à sa sortie une envie de revanche et une volonté farouche de faire quelque chose de son existence. Complètement bilingue elle trouve, aidée d’un instructeur, un travail de traductrice dans une petite revue mensuelle. Ses années de détention lui ont servi à perfectionner son anglais appris auprès de sa mère d’origine écossaise. Pourtant l’envie ne lui manque pas de revoir sa Sologne et pourquoi ne pas y vivre encore. Elle avait tant aimé dans ses jeunes années se cacher dans les forêts pour voir apparaître un cerf, une biche et son faon et surtout parcourir tout le domaine sur Bel son cheval préféré ! Tant de beauté la fascinait. Plus tard elle sera garde-chasse pour prendre soin de tous ces animaux et empêcher les chasseurs d’en faire de la chair à pâté. Mais l’adolescente rebelle n’a pas su se préserver de tentations interdites.

Des aventures stériles sans amour, sans enfant, avec l’impression qu’on lui refuse même le droit d’être mère, elle n’infligera pas à un enfant ce qu’elle a vécu. Mais malgré la farouche intention de rentrer dans le rang, Anne-Laure fuit les problèmes, cache ses émotions, change constamment de boulot, rien ne l’incite à devenir un petit soldat aux ordres d’une société bienpensante. Quant aux programmes de réhabilitation qu’elle a suivis un certain temps, cela n’a fait qu’ajouter de la culpabilité à la culpabilité et de la douleur à la douleur. Elle tombe par hasard sur un ancien compagnon de galère. Retour à la case départ. La tentation est trop forte de s’approprier ce qu’elle ne pourra jamais posséder. Le gang reconstitué, les petits larcins s’enchainent. Bien organisé tout paraît tellement facile. S’ajoutent l’alcool et la drogue et le tableau est complet. Un sursaut d’orgueil ou un éclair de lucidité ou la réminiscence d’une éducation chrétienne l’empêcheront de tomber dans la prostitution. Malgré cela Anne-Laure est devenu prudente, elle a acquis une certaine dextérité pour passer entre les mailles du filet et, lors de leur dernière intervention, elle a tellement eu peur qu’elle a fui, laissant aux autres la part de butin qui devait lui revenir.

Dans un premier temps couper les ponts avec son passé, trouver un travail et un endroit où se sentir bien. Mais à qui donne-ton la chance d’une vie normale avec un passé qui ne peut s’effacer ? C’est écrit noir sur blanc et quand il faut fournir des papiers le regard de l’autre change. Marie-Laure connaît bien ces clins d’œil et elle regarde droit dans les yeux ses interlocuteurs. Elle sait qu’on la juge. Au début  des entretiens on est tout sourire avec elle. C’est vrai qu’elle présente bien : pas vraiment jolie mais d’approche avenante, habillée simplement mais avec goût, le regard franc, tout contribue à la séduction et elle s’en amuse ouvertement jusqu’à ce que sa vie s’étale en lettres noires sur les documents fournis. Il faudra nombre de rencontres pour obtenir un poste d’assistance interprète, mais elle est revenue dans sa Sologne natale si chère à Maurice Genevoix et dont la forêt perdue était son livre de chevet. Apaisée elle vivra de nombreuses années dans sa maison de Sologne  au milieu de son jardin fleurie loin des autres et toujours souriante.

Revenons à notre facteur. Ecrire ce récit intime qu’il gardera pour lui en souvenir de cette vieille dame si discrète lui  donna goût à l’écriture. Son attirance  pour les enquêtes et son travail aux Archives lui serviront désormais à écrire des nouvelles  issues de son imagination qu’il espère bien éditer un jour.

Rencontres

Au cours d’une promenade dans ma ville, profitant de l’arrivée d’un printemps qui tarde à nous réchauffer, j’entre dans une galerie attirée par une affiche collée à la vitrine. Une exposition est consacrée à de jeunes artistes méconnus ou en devenir, où se mêlent sculptures et peintures. Ma vie est depuis toujours réglée par des coups de cœur heureux ou malheureux mais indispensables à ma survie. Un tempérament explosif suivi de grandes dépressions, difficile de gérer ces moments d’humeur preuves d’une sensibilité à fleur de peau. Mon regard est attiré par une toile, pas vraiment mise en valeur, représentant une barque en train de sombrer. Plus aucun passager à bord, le mât à demi brisé semble résister au vent qui bouscule de gros nuages menaçant l’embarcation. Tellement réaliste qu’en la regardant on entend le bruit des vagues se fracasser contre la coque du bateau. Mais ce qui est étonnant ce sont les couleurs vives presque joyeuses, du bleu foncé au vert tendre aux ocres rosées que le peintre a brossées comme pour donner de l’espoir à cet instant sinistre. Un philosophe définirait l’artiste d’un esprit contradictoire moi je ne vois que détresse et solitude. J’ai fait l’acquisition de cette toile. Ce fut un vrai coup de foudre dans une vie qui sombre et chaque fois que je la regarde je suis partagée entre l’envie de monter à bord et de poursuivre le voyage ou de fracasser le fond et la regarder lentement couler rejoindre les épaves oubliées.

Rencontre avec un livre

Si les beaux paysages incitent à raconter de belles histoires, ma rencontre avec un livre a fait remonter en moi des moments douloureux. La couverture représente un village breton au soleil couchant ce qui donne aux maisons une chaude couleur dorée. Entre ce qui est visible et ce qui se cache à l’intérieur le mystère reste total. Je me revoie dans mon cher Finistère sur le vieux port de Pempoul d’où partaient au moyen âge des flottes aventureuses qui m’ont souvent donné l’envie de larguer les amarres. Plus avant dans la lecture je me suis retrouvé dans la peau d’un personnage ambigu et mon intérêt ne cessa de grandir. Flash-back dans un film qui déroulerait son histoire à l’envers.

  Nous étions tous les quatre présents à chaque vacances, hiver comme été, quatre cousins inséparables chaperonnés par des grands-parents attentifs et vigilants dans la maison familiale qui borde la mer farouche à cet endroit de la côte. Trois garçons et une fille : Alice.  Elle avait le beau rôle et se jouait souvent de nous car elle savait que nous étions tous amoureux d’elle. Petit brin de fille brune avec des étoiles dans les yeux, intrépide, audacieuse et téméraire, elle n’avait peur de rien si bien qu’en certaines circonstances nous passions pour de gentils poltrons. Quand le temps le permettait- et il le permettait souvent quoiqu’en pensent les vacanciers- nous allions nous baigner sur la plage de Saint Pol de bonne heure pour ne pas côtoyer le monde des envahisseurs. Ce paysage si familier faisait partie de notre quotidien et nous considérions que la mer, pour l’instant d’une baignade, nous appartenait. Puis un jour notre belle entente s’est brisée quand Alice nous présenta un garçon produit craché d’une Bretagne sauvage. Elle s’éloignait souvent nous laissant à nos jeux vidéo les jours de pluie trop violents, disait-elle. L’équilibre que nous avions construit au fil des années s’est effondré. Nous rivalisions de gentillesse et d’attentions à son égard mais l’intrus réussit à s’introduire insidieusement dans notre groupe, volontairement ou pas. Aguerri aux pratiques de la pêche en mer, il emmenait Alice tôt le matin pour un moment de complicité et elle rentrait très fière avec quelquefois des homards bleus dans son panier.

La mer comme une compensation a repris son dû. Lors d’une violente tempête un bateau de pêche n’a pas refait surface engloutissant ce garçon innocent qui n’avait pas su se protéger de ses colères. Alice resta inconsolable, il était temps que les vacances se terminent pour que nous passions à autre chose.

La mer reprend toujours ce qu’elle a donné.

          Les écrivaillons

Ils ont tant de choses à dire avec leurs mots maladroits et leurs fautes de syntaxe ! Ils se prennent parfois pour des génies capables de rivaliser avec de grands auteurs. Mais ils sont sincères et méritent qu’on lise leurs histoires sorties de leur imagination avec un brin de vécu. Ils mêlent la fiction et la réalité avec parfois dextérité et poésie. Les encouragements de leurs proches les poussent à poursuivre ce dont ils ont toujours pensé être leur vocation. Comme les médecins ou les prêtres ils ont une tâche à accomplir, ils veulent faire du bien autour d’eux, charmer les lecteurs, les faire vibrer, pleurer ou rire mais être là dans un coin de leur vie et finir sur des étagères au côté de Jean-René Huguenin. Fiers de ces petits livres ils en veulent toujours plus. A peine une histoire terminée ils en commencent une autre sortie de leur imagination ou d’un fait divers car il ne faut pas que l’encre sèche, le traumatisme de la page blanche ne les concerne pas. Dès le matin l’ordinateur est allumé et ils tapent frénétiquement sur des sujets que la nuit a apportés de peur de les oublier car même dans leur sommeil l’écrivain n’est jamais tout à fait endormi. Mais surtout ils ont besoin de se raconter en cachant leurs émotions derrière les personnages qu’ils mettent en scène se défendant toujours d’une certaine ressemblance. Bons ou mauvais ils sont là et il y aura toujours une certaine indulgence en lisant leurs écrits parce qu’ils sont empreints de sincérité, parce qu’on apprend à les connaître et parfois à découvrir des secrets inavoués.

La première publication est signe de victoire. N’avaient-ils jamais rêvé un jour être présents dans les librairies ?

Lola

 

        Elle était sa force, sa muse, son égérie, son amour, sa lolita. Il a commencé à la peindre à l’âge de seize ans, si belle déjà dans un drapé bleu qui révélait l’éclat de ses yeux et ses formes parfaites. Depuis ce jour et jusqu’à son départ, elle est restée son seul modèle. Des toiles la représentant il y en avait plein l’atelier jonchant le sol et les murs. Objet docile entre ses mains, il en jouait comme un musicien qui expérimente son instrument avec plaisir et maladresse. Mais n’était-ce pas ce qu’elle aimait ?

         Après le décès de ses parents, il était le seul proche à pouvoir s’occuper d’elle. Une sorte d’oncle par alliance dont on ne savait plus très bien de quelle alliance il sortait. Mais c’était ainsi étant le seul, le juge avait tranché, il serait son tuteur légal jusqu’à sa majorité. Jouissant d’une fortune héritée de son père, Lola n’avait aucun souci d’ordre matériel ainsi l’oncle et la nièce descendaient dans les plus grands hôtels et Lola s’habituait au luxe et à la beauté des choses.

          La villa louée en bord de mer ressemblait à un remake de la Dolce Vita. Des fêtes somptueuses toutes les nuits où le champagne coulait à flots, des amours faits et défaits au petit matin quand le bruit des voitures de sport démarraient dans un bruit infernal. Lola était la reine en son palais. Déjà bien rompue aux armes de la séduction, elle survolait le monde de sa jeunesse et de sa beauté. Ainsi allait la vie nuit après nuit et puis Lola eut envie d’un ailleurs et disparut de ce cadre enchanteur avec un amant de passage. De cet instant les fêtes n’avaient plus raison d’être, la villa fut fermée, les clés rendues à leur propriétaire.

        En tant que modèle, Lola se présenta chez d’autres peintres. Son oncle lui avait tellement vanté sa beauté qu’elle ne doutait pas de susciter l’admiration partout où elle se présenterait. Mais il ne suffit pas d’être jeune et jolie pour faire un bon modèle capable d’inspirer l’âme d’un artiste de talent. Il manquait à Lola ce rayonnement intérieur qui fait d’un être humain un être à part et elle se vit refermer la porte de nombreux ateliers. Ceux qui l’acceptaient étaient des barbouilleurs sans envergure et Lola eut tôt fait de leur tourner le dos.

            Aujourd’hui elle remercie encore ceux qui l’ont refusée. Grâce à eux, elle n’est pas devenue cette fille sotte imbue d’elle-même, lui laissant croire que seule la beauté suffisait. Ils lui ont permis de devenir une Lola pas une lolita. Loin de son oncle, décédé peu après sa majorité, elle s’est ouverte aux autres. Elle a mis au monde une petite fille qu’elle a confiée à des parents en mal d’enfant, sans pour autant couper les liens du sang. Lola n’avait pas la fibre maternelle mais elle tenait à ce que la relation avec cette enfant ne soit pas rompue définitivement. Ce qu’elle voulait avant tout c’était de ne pas reproduire le schéma de son enfance dorée avec des parents trop aimants qui l’ont gavée de tendresse et d’amour car la séparation en fut d’autant plus douloureuse et dramatique. Il était une fois une princesse… mais la vie n’est pas un conte de fée et pour s’endormir à présent plus besoin de prince charmant. Pas besoin non plus de père pour son enfant, elle ne voulait plus permettre à un homme de disposer d’elle comme par le passé. Trop jeune pour s’en rendre compte, elle s’était fait manipuler par des hommes qui lui avaient laissé croire insidieusement que la beauté pouvait donner le pouvoir.

          Elle entendit un jour à la radio l’appel d’un « mec » promettant de donner à manger à tous ceux qui ont faim et le déclic s’opéra. Elle voulut faire partie de l’aventure, se dépensa sans réserve en pensant qu’au moins son argent servirait une cause utile. Elle fit des rencontres merveilleuses, des gens de tout bord, riches ou pauvres, célèbres ou inconnus, chacun donnait une part de lui-même et la misère des gens pour qui elle œuvrait lui apporta une forme de sérénité et a contrario même de bonheur. Elle n’avait plus de vague à l’âme en pensant à sa vie d’avant car elle comprit que son existence désormais serait tournée vers les autres.