La bande des quatre

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Ils s’étaient connus un été au club d’alpinisme de Chamonix, Anne, Marie, Jérôme et Fabien, tous les quatre férus d’escalades et d’émotions fortes et ils se revoyaient de temps en temps en randonnées . Avant de s’engager dans la vie active, ils décidèrent de s’inscrire au stage de haute montagne du club pour assouvir leur passion et mieux se connaître. Ils en rêvaient depuis longtemps mais pris par les études ils avaient repoussé ce projet, et le moment était enfin venu de le réaliser. C’est à plus de 3000 mètres dans la griserie de l’altitude et parfois dans les passages difficiles que se créa la bande des quatre et une amitié qu’ils voulaient éternelle.

De retour à Paris Anne prof de gym et Jérôme graphiste s’installèrent ensemble dans un petit appartement du 15 ème arrondissement et donnèrent vite naissance à des jumeaux appelés Côme et Adrien. Marie peintre sur soie et Fabien architecte trouvèrent refuge dans un ancien atelier d’artiste à Montmartre qu’ils aménagèrent et partagèrent, d’abord en qualité d’amants et ensuite d’amis, la liberté de vie primant avant toute autre chose . Ils s’étaient surnommés tout naturellement « les « graphes » et « les archis». Les contraintes familiales des graphes et l’éloignement géographique des archis limitaient leurs rencontres mais internet maintenait le contact. Quand les graphes réussissaient à caser leurs chérubins chez de bienveillants grands-parents, ils faisaient tous les quatre une échappée vers la montagne:  occasion pour eux de renouer une amitié qui avait tendance à s’endormir.

Les années passèrent, les jumeaux grandissaient, les sentiments s’émoussaient, les oppositions s’affirmaient et le divorce des graphes s’imposa. Côme et Adrien avaient 5 ans et leurs parents approchaient la trentaine. Jérôme prit un appart proche de celui d’Anne pour faciliter le transfert des enfants et ne pas les obliger à changer d’école ni de nounou. Le juge accepta, dans ces conditions, une garde alternée malgré le jeune âge des jumeaux. Tout se passa au mieux et Anne et Jérôme redevinrent bons copains.

C’est ainsi que la bande des quatre retrouva la liberté de ses vingt ans. Quatre célibataires actifs avec pour deux d’entr’eux la charge d’enfants une semaine sur deux  . Les deux autres, ensemble ou ailleurs, n’avaient pas cru bon encore de procréer. Les relations entre les quatre amis prirent alors une tournure inattendue. Anne rencontra de plus en plus souvent Fabien qui travaillait dans le même quartier. Jérôme revit Marie dont il était amoureux jadis et pour laquelle il éprouvait toujours une attirance secrète, ne s’étant jamais vraiment remis de s’être fait doubler par Fabien.

Ainsi se mit en place le jeu de l’alternance par un chassé-croisé amoureux. Les graphes et les archis demeuraient mais les compagnes avaient permuté. Un vrai marivaudage ! Une semaine sur deux Anne accueillait Fabien pendant que Jérôme gardait les enfants, et inversement Jérôme recevait Marie la semaine suivante quand les jumeaux étaient chez leur mère. Jérôme et Marie d’un côté, Fabien et Anne de l’autre. Si les couples s’étaient formés ainsi dès le départ, le chassé-croisé aurait-il eu lieu dans l’autre sens ? Personne ne peut le dire !

Cet arrangement très discret perdura jusqu’au jour où Marie, émue, confia à Anne qu’elle était enceinte et lui parla de sa relation amoureuse avec Jérôme. Situation Incroyable et surréaliste quand Anne, en retour, avoua à Marie sa grossesse et son bonheur de vivre avec Fabien. Ainsi naquirent  Mia et Zoé à quelques jours d’intervalle.

Chez les graphes et les archis ce fut une explosion de joie. Au milieu des bulles de champagne et des embrassades, la décision fut vite prise : un vaste chalet à la montagne pour accueillir la bande des huit dont quatre frères et sœurs en rêvant à de futures ascensions vers les plus hauts sommets.

Les cousines de Chateau-Garnier

Monchandy     Les cousines de Château-Garnier

      Elles étaient trois sœurs, Marguerite, Julie et Berthe. Il y avait bien aussi un frère Georges, militaire, mais il s’était marié et était parti avec son épouse et son fils aux colonies. Ses visites étaient donc rares dans ce petit village du Poitou.

     Marguerite était l’aînée. C’est elle qui était en charge de l’éducation de ses jeunes sœurs. Ainsi Julie, à vingt ans, avait été presque fiancée, mais le garçon ne plaisant pas à Marguerite le mariage tomba aux oubliettes car il n’était pas question d’aller contre l’autorité d’une sœur dont la mère avait fait quatre enfants et qui refusait de s’en occuper.

     La maison en pierre de taille, située dans le haut-bourg, était en angle.  Côté face elle donnait sur la  place où le marronnier faisait de l’ombre et de l’autre sur le petit chemin bordé de noisetiers qui menait au château de Monchandy dont la grande prairie s’étendait jusqu’au Clain. Au rez-de-chaussée Marguerite tenait une épicerie fourre-tout, avec des comptoirs en bois ciré garni de bocaux remplis de friandises. On y trouvait de tout : chaussures, chapeaux, vêtements, nourritures, un endroit insolite d’où s’exhalait une odeur indéfinissable. Julie, institutrice, assurait ses cours à l’école du village qui jouxtait la mairie, l’église et le cimetière. Toutes deux petites et menues trottinaient telles des petites souris. Toujours habillées de gris ou de noir comme si elles avaient pris le deuil de ce qu’elles n’avaient pas vécu. Quant à Berthe, la plus émancipée des trois, la plus jolie aussi, bien en chair, avait fait le choix de vivre à Paris pour s’occuper de nouveau-nés en tant que nurse et changeait ainsi de famille tous les deux ou trois ans. Elle avait une vie libre et se moquait gentiment de l’existence étriquée de ses sœurs aînées. Si bien qu’il y avait deux clans : Marguerite et Julie d’un côté et Berthe de l’autre et cela donnait lieu parfois à de cinglantes répliques. A l’âge de la retraite, Berthe, assagie, revint au village et les trois sœurs vieillirent ensemble à petits pas et s’éteignirent sans faire de bruit l’une après l’autre dans le respect de l’ordre de leur naissance. On les appelait ces dames aux chapeaux verts tant elles ressemblaient aux héroïnes du roman de Germaine Acremant qui se lisait dans la Veillée des Chaumières.

     On venait de loin dans ce village dont le maire, marchand de cochons, prospérait autant que son ventre s’arrondissait. Tous les 22 du mois avaient lieu les grandes foires autour des vieilles halles moyenâgeuses où tout le département était convié. Sur la grande place, près de la balance aux bestiaux, les marchands faisaient affaire. Une tape sur la main et la vente était conclue. On n’avait pas besoin d’apposer sa signature sur un papier officiel, la parole suffisait et personne n’y manquait.

     Chez Yvette et Dédé, le seul restaurant sur la place le menu était souvent le même pour les castelgarnérois et pour les autres : escargots au beurre aillé, ris de veau en sauce, farci d’herbes accompagné du petit salé qui avait cuit avec et on terminait par un broyé du Poitou qui, selon la coutume, ne se coupe pas mais se casse en morceaux inégaux. Les deux salles du restaurant étaient pleines, il fallait même plusieurs services pour sustenter tout le monde. Le ventre plein, les paysans rejoignait leurs bêtes, on en retrouvait souvent quelques uns endormis sur la paille et le village se vidait ainsi jusqu’à la prochaine foire.

     Dans le bas-bourg vivait le minotier mais la grande roue du moulin ne balaye plus l’eau calme de la rivière. Désormais le village est au repos comme le sont les cousines de mon grand-père. Aujourd’hui les enfants d’agriculteurs ont déserté pour la ville. Les touristes sont peu nombreux et le village se meurt. Il faut se tromper de route pour arriver jusqu’ici et découvrir au hasard le charme des promenades au bord du Clain.