Fallait pas ouvrir la boîte de Pandore !

boites-boite-cadeau-pour-bijou-emballag-6098599-boit-rouge-1-dff665-c8fe5_bigCourrier de l’ambassade de France à Stockholm :

Monsieur,

Lors de l’opération récente de numérisation des Archives Centrales de l’Ambassade, nos services ont retrouvé le dossier personnel de votre grand-père, Baptiste Daner, conseiller honoraire de Monsieur l’Ambassadeur entre 1975 et 1985.

Nous vous souhaitons bonne réception de ce dossier et vous prions de bien vouloir excuser nos collaborateurs pour cette erreur d’affectation qui, nous l’espérons, ne vous aura pas porté préjudice.

Veuillez croire Monsieur…

Antoine Daner était encore enfant à la mort de son grand-père, mais sa grand-mère lui en a tellement parlé qu’il connait tous les détails de sa vie. Enfin, c’est ce qu’il croyait avant de recevoir cet étrange colis venu de l’ambassade de France à Stockholm.

La vie des grands-parents d’Antoine n’a pas suivi un parcours ordinaire. Sa grand-mère, très attachée à ses landes natales, n’a jamais voulu s’installer à Stockholm, pays trop froid pour elle et trop loin de l’océan dont elle ne pouvait détacher son regard chaque matin en ouvrant ses volets. Elle a élevé seule leur fils Clément tandis que son mari faisait des allers et retours entre ses deux résidences. Sa fonction à l’Ambassade ne nécessitant pas une présence permanente, il passait trois jours en Suède et quatre jours en France, ou l’inverse suivant ses obligations. Mais dans les dernières années de sa vie il restait beaucoup moins longtemps auprès de son épouse et de son fils.

Antoine ouvre le colis avec impatience et découvre en vrac des photos, des notes personnelles en français et des papiers administratifs en suédois. Il reconnait sur les photos son grand-père au côté de l’Ambassadeur, bel homme à la haute stature, au regard perçant, vêtu avec l’élégance de la mode en cours. Pourtant une photo l’intrigue. C’est celle de son grand-père tenant par la main un petit garçon blond qui n’apparait dans aucun album de famille. Au dos une inscription : Niklas le jour de ses trois ans. Que penser de cette photo et que cachent ces écrits en suédois ? Antoine, pressentant une affaire trouble, referme le paquet, le cache en haut d’une armoire avec la ferme intention de l’oublier.

Clément a laissé à son fils plusieurs hectares de terrain dans les landes et Antoine a réalisé son rêve en construisant un ensemble sportif où les notables de la région viennent s’entrainer. En dehors des courts de tennis, Antoine offre une piscine et un restaurant avec une galerie marchande où l’on trouve raquettes, tenues de sport et autres accessoires. Il dispose aussi d’un sauna et d’une salle de relaxation avec massages à la demande. C’est son petit Roland-Garros à lui ! Il organise toute l’année des tournois, des compétitions et des matches de démonstration où quelques joueurs connus viennent, moyennant finance, réjouir les amateurs de tennis. Antoine est un trentenaire heureux, célibataire recherché, menant une vie facile grâce aux revenus que lui apporte son club. Contrairement à son grand-père et à son père brillants hauts fonctionnaires, Antoine n’a réussi à l’école que dans les disciplines sportives. Le seul diplôme dont il est fier est fixé au mur de son bureau : Champion de France Junior de Tennis. Il emploie un personnel fixe toute l’année mais l’été il fait appel à des saisonniers, surtout des étudiants qui ont besoin d’argent de poche. Tous les ans en janvier et février, Antoine ferme le club, c’est la saison morte, celle des travaux d’entretien pour l’établissement et celle de des sports de glisse pour ses clients Il en profite pour faire des voyages loin très loin de chez lui : plaisir du un dépaysement et moyen d’échapper à la grisaille landaise.

 Lorsque Niklas vient au monde Baptiste a cinquante ans. Quelques années auparavant il a fait, au cours d’une soirée dont raffole le gratin suédois, la connaissance de Margit, jeune étudiante en fac de langues où elle étudie, entre autres, le français. Malgré les vingt-cinq années qui les séparent, entre ces deux-là le coup de foudre est immédiat. Baptiste mène une double vie qu’il tient secrète vue sa situation et, ironie du sort, Margit met au monde un petit Niklas tandis que Clément annonce à son père la naissance de son fils Antoine. Niklas est déclaré sous le nom de sa mère, mais quelques années plus tard Baptiste, pris de remords, reconnait officiellement l’enfant. Installés aux alentours de la capitale dans une maison faite de bois peint en rouge, Baptiste et Margit vivent leur amour discrètement. Seule la proche collaboratrice de Baptiste à l’ambassade est au courant. A sa mort survenue brutalement en France des suites d’un infarctus la nuit de Noël 2002, c’est elle qui triera ses affaires et qui les archivera sans oser les transmettre à son épouse.

Margit très affectée par la disparition de son compagnon traverse des moments difficiles. Avec Baptiste, tendre et généreux, elle vivait au quotidien un bonheur paisible sans souci financier. Elle connaissait l’existence de sa famille en France mais cela ne la tourmentait pas, pas plus que leur différence d’âge. Au contraire, elle bénéficiait du savoir de son compagnon et grâce à lui elle parle un français presque sans accent. Actuellement son salaire de professeur lui permet tout juste de vivre, la vie est très chère à Stockholm et la solitude lui pèse. Aussi accepte-t-elle la demande en mariage de Georg, un ami très proche, traducteur de métier, maitrisant totalement le français. Son mari adopte légalement Niklas qui portera désormais son nom et qu’il traitera toujours comme son fils biologique à l’égal des deux autres enfants que le couple aura. Niklas passe une jeunesse heureuse au sein de sa famille avec des parents aimants et très ouverts à la culture française. Parfaitement bilingue, il fait des études supérieures de droit en Suède et en France. Passionné de tennis, il s’avère aussi être un bon surfeur.

Margit ne parla jamais à Niklas de son père biologique. C’est en triant les papiers de sa mère à son décès alors qu’il approchait la trentaine qu’il fit la découverte de ses origines. Ce ne fut pas vraiment une surprise pour Niklas car, sans jamais en avoir jamais parlé, il ressentait au fond de lui une impression bizarre. A plusieurs reprises, dans ses rêves, il se voyait jeune enfant donnant la main à un homme qui n’était pas Georg. Difficile de trouver des ressemblances particulières avec l’un de ses deux parents si ce n’est la blondeur de ses cheveux qu’il tient de son origine suédoise. Une date avait été ajoutée de l’écriture de sa mère 25 décembre 2002 ainsi qu’un lieu : cimetière d’Arcachon. Pourquoi avoir attendu trente ans pour connaître la vérité ? Ainsi avait-il probablement des demi-frères et sœurs, des neveux et nièces encore dans le Sud-ouest de la France. Il profita des vacances d’été pour rechercher la famille dont on l’avait exclu. Il n’eut pas beaucoup de mal par la mairie d’Arcachon à savoir que Baptiste et son épouse avait eu un fils Clément décédé récemment et qu’Antoine, fils unique de Clément, gérait un club de tennis à proximité d’Arcachon.

Comme chaque, année au début de l’été, des étudiants se présentent au club. Antoine a l’habitude, le bouche à oreille fonctionne bien, le travail ici est agréable et l’ambiance amicale. D’une année sur l’autre ce sont parfois les mêmes jeunes qui entretiennent les courts, s’occupent du bar ou du restaurant, ou servent de sparring-partners pour les plus doués. Niklas n’a aucun mal à se faire embaucher, son allure sportive et son niveau de tennis ont tout de suite plu à Antoine. Bien que parlant un français très correct, il ne peut cacher un léger accent scandinave et ses cheveux d’un blond de blé font qu’Antoine l’interroge sur son pays d’origine. Niklas s’invente une mère française et un père suédois, d’où son nom de famille : Karlsson. Il prétend sillonner la France pour parfaire la langue et s’adonner à son sport favori le tennis sans trop s’éloigner de l’océan car il aime également surfer. La situation du club et sa réputation ont tout de suite séduit Niklas.. Toutefois Antoine reste perplexe. Les étudiants viennent plutôt de Bordeaux, Toulouse, d’Espagne ou du Portugal et ce grand garçon au teint clair surprend. Ce n’est pas son aspect physique qui inquiète Antoine, c’est son pays d’origine qui évoque en lui les souvenirs d’une certaine boîte reçue un jour et abandonnée en haut d’une armoire. Et ce prénom Niklas, n’est-ce pas celui du petit garçon si blond qui tient la main de son grand-père ?

Pendant son jour de congé hebdomadaire, Niklas surfe sur les vagues tout en réfléchissant à la situation. Que faire vis-à-vis d’Antoine ? Lui dire la vérité serait semer le doute, lui laisser penser qu’il vient revendiquer sa part d’héritage et le dépouiller d’une partie de ses biens. Antoine de son côté, bien qu’il soit devenu copain avec Niklas, se méfie de lui. Il l’a suivi un jour et ses pas l’ont mené jusqu’au cimetière d’Arcachon où Niklas s’est arrêté un bon moment devant la tombe de Baptiste. Maintenant les choses sont claires pour Antoine, Niklas ne peut être que le fils de Baptiste. Un oncle qui tombe du ciel ! En venant travailler au club il a forcément des intentions cachées, ce ne peut être le fait du hasard. Antoine se souvient des papiers écrits en suédois et il compte bien demander à Niklas de les lui traduire.

Antoine trouve un prétexte pour attirer Niklas dans ses filets. Il l’invite un soir à prendre un pot dans son appartement, ce qu’il ne fait jamais avec ses employés. Antoine fait part à Niklas de son intention d’organiser des tournois juniors et il aimerait qu’il s’en occupe. Il serait seul responsable de la mise en place et du suivi des compétitions et son salaire s’en trouverait amélioré. Durant la conversation, Antoine raconte à Niklas le parcours de son grand-père à l’ambassade de France à Stockholm. De cette époque il conserve des papiers dont il aimerait bien connaître le contenu. La plupart concernent les activités privées de Baptiste : inscription à différents clubs, invitation à des vernissages, billets de concerts etc. Quand Niklas aperçoit le document administratif dont il a vu une copie dans le dossier de sa mère, celui-là même qui officialise sa reconnaissance par Baptiste, il blêmit, bafouille, cherche une échappatoire, et prend congé d’Antoine en lui affirmant ne pas comprendre ce document.

Troublé par l’attitude de Niklas, Antoine se garde bien de dévoiler les noirs desseins qu’il lui prête. Il est clair pour lui que ce dernier est venu dans l’unique but de faire valoir ses droits et de le dépouiller. Pour un fan de tennis posséder un tel domaine est une opportunité à laquelle nul ne résisterait. Antoine ne peut supporter que son club, sa création, dans lequel il a mis toute son énergie lui soit un jour enlevé. Il y pense nuit et jour et imagine des stratagèmes diaboliques pour déjouer ce qu’il suppose être les plans de Niklas. Il l’espionne en permanence et essaye d’analyser ce qui se cache derrière ce regard d’ange. C’est devenu une obsession maladive qui empoisonne sa vie.

Niklas passe ses moments de liberté en surfant sur les vagues mais cette partie de côte ne lui suffit plus. Il a entendu parler de la station d’Hossegor à 160 kms au sud, lieu de rencontre des grands surfeurs du monde entier où, au moment des grandes marées, le creux des vagues peut atteindre jusqu’à six mètres. Encouragé par Antoine qui lui accorde, à sa grande surprise, un congé exceptionnel, il se rend, fou de joie, dans ce haut lieu du surf malgré une météo qui s’annonce mauvaise. Mis en garde par des copains surfeurs, Niklas ne réalise pas le danger d’un tel challenge. Pourtant il s’élance le premier et sa joie est à son comble. Chaque surfeur rêve un jour de trouver sa vague et aujourd’hui Niklas l’a rencontrée.

L’océan ne rendra jamais le corps de Niklas. Antoine sous le choc accueille la nouvelle comme un coup de poignard. Niklas vivant c’était l’ennemi dont il fallait se méfier, le traître en puissance qu’il fallait sonder en permanence pour déceler une éventuelle déloyauté. Mais Niklas disparu c’est le doute qui s’infiltre jour après jour dans l’esprit fragile d’Antoine. Et si l’enfant blond, devenu cet adulte attachant, n’avait seulement cherché qu’à retrouver ses proches ?

Les mois passent et le moral d’Antoine décline. L’obsession d’être dépouillé a fait place à l’obsession de s’être trompé sur la vraie personnalité de Niklas. Antoine fait une profonde dépression au point d’être hospitalisé en section psychiatrique. Plus à même de gérer son entreprise, il néglige son club qui sera repris quelques années plus tard par un puissant groupe étranger.