Lola

 

        Elle était sa force, sa muse, son égérie, son amour, sa lolita. Il a commencé à la peindre à l’âge de seize ans, si belle déjà dans un drapé bleu qui révélait l’éclat de ses yeux et ses formes parfaites. Depuis ce jour et jusqu’à son départ, elle est restée son seul modèle. Des toiles la représentant il y en avait plein l’atelier jonchant le sol et les murs. Objet docile entre ses mains, il en jouait comme un musicien qui expérimente son instrument avec plaisir et maladresse. Mais n’était-ce pas ce qu’elle aimait ?

         Après le décès de ses parents, il était le seul proche à pouvoir s’occuper d’elle. Une sorte d’oncle par alliance dont on ne savait plus très bien de quelle alliance il sortait. Mais c’était ainsi étant le seul, le juge avait tranché, il serait son tuteur légal jusqu’à sa majorité. Jouissant d’une fortune héritée de son père, Lola n’avait aucun souci d’ordre matériel ainsi l’oncle et la nièce descendaient dans les plus grands hôtels et Lola s’habituait au luxe et à la beauté des choses.

          La villa louée en bord de mer ressemblait à un remake de la Dolce Vita. Des fêtes somptueuses toutes les nuits où le champagne coulait à flots, des amours faits et défaits au petit matin quand le bruit des voitures de sport démarraient dans un bruit infernal. Lola était la reine en son palais. Déjà bien rompue aux armes de la séduction, elle survolait le monde de sa jeunesse et de sa beauté. Ainsi allait la vie nuit après nuit et puis Lola eut envie d’un ailleurs et disparut de ce cadre enchanteur avec un amant de passage. De cet instant les fêtes n’avaient plus raison d’être, la villa fut fermée, les clés rendues à leur propriétaire.

        En tant que modèle, Lola se présenta chez d’autres peintres. Son oncle lui avait tellement vanté sa beauté qu’elle ne doutait pas de susciter l’admiration partout où elle se présenterait. Mais il ne suffit pas d’être jeune et jolie pour faire un bon modèle capable d’inspirer l’âme d’un artiste de talent. Il manquait à Lola ce rayonnement intérieur qui fait d’un être humain un être à part et elle se vit refermer la porte de nombreux ateliers. Ceux qui l’acceptaient étaient des barbouilleurs sans envergure et Lola eut tôt fait de leur tourner le dos.

            Aujourd’hui elle remercie encore ceux qui l’ont refusée. Grâce à eux, elle n’est pas devenue cette fille sotte imbue d’elle-même, lui laissant croire que seule la beauté suffisait. Ils lui ont permis de devenir une Lola pas une lolita. Loin de son oncle, décédé peu après sa majorité, elle s’est ouverte aux autres. Elle a mis au monde une petite fille qu’elle a confiée à des parents en mal d’enfant, sans pour autant couper les liens du sang. Lola n’avait pas la fibre maternelle mais elle tenait à ce que la relation avec cette enfant ne soit pas rompue définitivement. Ce qu’elle voulait avant tout c’était de ne pas reproduire le schéma de son enfance dorée avec des parents trop aimants qui l’ont gavée de tendresse et d’amour car la séparation en fut d’autant plus douloureuse et dramatique. Il était une fois une princesse… mais la vie n’est pas un conte de fée et pour s’endormir à présent plus besoin de prince charmant. Pas besoin non plus de père pour son enfant, elle ne voulait plus permettre à un homme de disposer d’elle comme par le passé. Trop jeune pour s’en rendre compte, elle s’était fait manipuler par des hommes qui lui avaient laissé croire insidieusement que la beauté pouvait donner le pouvoir.

          Elle entendit un jour à la radio l’appel d’un « mec » promettant de donner à manger à tous ceux qui ont faim et le déclic s’opéra. Elle voulut faire partie de l’aventure, se dépensa sans réserve en pensant qu’au moins son argent servirait une cause utile. Elle fit des rencontres merveilleuses, des gens de tout bord, riches ou pauvres, célèbres ou inconnus, chacun donnait une part de lui-même et la misère des gens pour qui elle œuvrait lui apporta une forme de sérénité et a contrario même de bonheur. Elle n’avait plus de vague à l’âme en pensant à sa vie d’avant car elle comprit que son existence désormais serait tournée vers les autres.