Rencontres

Au cours d’une promenade dans ma ville, profitant de l’arrivée d’un printemps qui tarde à nous réchauffer, j’entre dans une galerie attirée par une affiche collée à la vitrine. Une exposition est consacrée à de jeunes artistes méconnus ou en devenir, où se mêlent sculptures et peintures. Ma vie est depuis toujours réglée par des coups de cœur heureux ou malheureux mais indispensables à ma survie. Un tempérament explosif suivi de grandes dépressions, difficile de gérer ces moments d’humeur preuves d’une sensibilité à fleur de peau. Mon regard est attiré par une toile, pas vraiment mise en valeur, représentant une barque en train de sombrer. Plus aucun passager à bord, le mât à demi brisé semble résister au vent qui bouscule de gros nuages menaçant l’embarcation. Tellement réaliste qu’en la regardant on entend le bruit des vagues se fracasser contre la coque du bateau. Mais ce qui est étonnant ce sont les couleurs vives presque joyeuses, du bleu foncé au vert tendre aux ocres rosées que le peintre a brossées comme pour donner de l’espoir à cet instant sinistre. Un philosophe définirait l’artiste d’un esprit contradictoire moi je ne vois que détresse et solitude. J’ai fait l’acquisition de cette toile. Ce fut un vrai coup de foudre dans une vie qui sombre et chaque fois que je la regarde je suis partagée entre l’envie de monter à bord et de poursuivre le voyage ou de fracasser le fond et la regarder lentement couler rejoindre les épaves oubliées.

Rencontre avec un livre

Si les beaux paysages incitent à raconter de belles histoires, ma rencontre avec un livre a fait remonter en moi des moments douloureux. La couverture représente un village breton au soleil couchant ce qui donne aux maisons une chaude couleur dorée. Entre ce qui est visible et ce qui se cache à l’intérieur le mystère reste total. Je me revoie dans mon cher Finistère sur le vieux port de Pempoul d’où partaient au moyen âge des flottes aventureuses qui m’ont souvent donné l’envie de larguer les amarres. Plus avant dans la lecture je me suis retrouvé dans la peau d’un personnage ambigu et mon intérêt ne cessa de grandir. Flash-back dans un film qui déroulerait son histoire à l’envers.

  Nous étions tous les quatre présents à chaque vacances, hiver comme été, quatre cousins inséparables chaperonnés par des grands-parents attentifs et vigilants dans la maison familiale qui borde la mer farouche à cet endroit de la côte. Trois garçons et une fille : Alice.  Elle avait le beau rôle et se jouait souvent de nous car elle savait que nous étions tous amoureux d’elle. Petit brin de fille brune avec des étoiles dans les yeux, intrépide, audacieuse et téméraire, elle n’avait peur de rien si bien qu’en certaines circonstances nous passions pour de gentils poltrons. Quand le temps le permettait- et il le permettait souvent quoiqu’en pensent les vacanciers- nous allions nous baigner sur la plage de Saint Pol de bonne heure pour ne pas côtoyer le monde des envahisseurs. Ce paysage si familier faisait partie de notre quotidien et nous considérions que la mer, pour l’instant d’une baignade, nous appartenait. Puis un jour notre belle entente s’est brisée quand Alice nous présenta un garçon produit craché d’une Bretagne sauvage. Elle s’éloignait souvent nous laissant à nos jeux vidéo les jours de pluie trop violents, disait-elle. L’équilibre que nous avions construit au fil des années s’est effondré. Nous rivalisions de gentillesse et d’attentions à son égard mais l’intrus réussit à s’introduire insidieusement dans notre groupe, volontairement ou pas. Aguerri aux pratiques de la pêche en mer, il emmenait Alice tôt le matin pour un moment de complicité et elle rentrait très fière avec quelquefois des homards bleus dans son panier.

La mer comme une compensation a repris son dû. Lors d’une violente tempête un bateau de pêche n’a pas refait surface engloutissant ce garçon innocent qui n’avait pas su se protéger de ses colères. Alice resta inconsolable, il était temps que les vacances se terminent pour que nous passions à autre chose.

La mer reprend toujours ce qu’elle a donné.

          Les écrivaillons

Ils ont tant de choses à dire avec leurs mots maladroits et leurs fautes de syntaxe ! Ils se prennent parfois pour des génies capables de rivaliser avec de grands auteurs. Mais ils sont sincères et méritent qu’on lise leurs histoires sorties de leur imagination avec un brin de vécu. Ils mêlent la fiction et la réalité avec parfois dextérité et poésie. Les encouragements de leurs proches les poussent à poursuivre ce dont ils ont toujours pensé être leur vocation. Comme les médecins ou les prêtres ils ont une tâche à accomplir, ils veulent faire du bien autour d’eux, charmer les lecteurs, les faire vibrer, pleurer ou rire mais être là dans un coin de leur vie et finir sur des étagères au côté de Jean-René Huguenin. Fiers de ces petits livres ils en veulent toujours plus. A peine une histoire terminée ils en commencent une autre sortie de leur imagination ou d’un fait divers car il ne faut pas que l’encre sèche, le traumatisme de la page blanche ne les concerne pas. Dès le matin l’ordinateur est allumé et ils tapent frénétiquement sur des sujets que la nuit a apportés de peur de les oublier car même dans leur sommeil l’écrivain n’est jamais tout à fait endormi. Mais surtout ils ont besoin de se raconter en cachant leurs émotions derrière les personnages qu’ils mettent en scène se défendant toujours d’une certaine ressemblance. Bons ou mauvais ils sont là et il y aura toujours une certaine indulgence en lisant leurs écrits parce qu’ils sont empreints de sincérité, parce qu’on apprend à les connaître et parfois à découvrir des secrets inavoués.

La première publication est signe de victoire. N’avaient-ils jamais rêvé un jour être présents dans les librairies ?