Elise en Ré

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     Elise avait passé des concours autrefois ; elle avait failli être professeur de lettres. Admissible à l’agrégation, après un oral difficile elle fut reçue de justesse, ce qui est encore un mystère aujourd’hui pour elle. Agrégée ! Un titre qu’elle ne montrait guère mais qui lui permit de franchir les étapes dans sa carrière d’attachée de presse. Elle n’en tirait aucune vanité et n’en fit plus état quand elle se lança dans l’écriture de romans. La littérature était devenue une vraie passion. Elle fourmillait d’idées et écrivait vite dans un style émotionnel, épuré, qui rendait le lecteur captif et attirait les éditeurs. Son premier livre parut le jour de ses 40 ans le jour même où Paul la quitta. Ce mari grand reporter toujours entre deux avions et deux amours si proche de son cœur et si lointain à la fois. Dix ans après, la marée montante ayant effacé la douleur de la séparation, elle se dit libre et heureuse : une amie très proche Aline, des copains, quelques amants et surtout un livre à écrire attendu pour la rentrée littéraire. Que du bonheur !

     « Va plutôt dans ma maison de Charente-Maritime, tu seras plus tranquille pour écrire » lui dit Aline lors de leur déjeuner hebdomadaire habituel. Elle avait hérité de cette maison peu de temps auparavant, l’avait sommairement rénovée et Elise ne la connaissait pas. C’est ainsi qu’elle se retrouva un dimanche de mai au petit port de Mornac sur Seudre au moment merveilleux où le soleil se couche. Lui revint en mémoire trois vers qu’elle avait lus quelque part mais elle ne sait plus où :

     « Un port miniature, son chenal vers la Seudre

        Promenade de charme et de rêverie

         Au bord de l’eau maintes fois recommencée … »

     Trouver le logis d’Aline dans le dédale de ruelles relevait du miracle mais il se produisit. Elle était là, devant ses yeux, cette petite maison blanche aux volets bleus nichée au fond d’un jardin protégé par des roseaux. L’intérieur était sobre avec des murs crépis de blanc et quelques meubles charentais qu’Aline avait conservés. Cette ancienne maison de pêcheur était le refuge qu’il lui fallait. Elle sentait les idées bouillonner dans sa tête prête à jaillir pour ce roman sur un secret de famille ; ne lui manquait que la première phrase pour démarrer l’histoire. Elle avait du temps, rien ne la retenait à Paris, Aline était trop occupée pour s’accorder des vacances et venir la rejoindre. Pas un mot aux copains sur l’endroit où je me trouve avait dit Elise j’ai envie de solitude.

     En attendant cette fameuse première phrase chère à tout écrivain, pourquoi ne pas s’accorder quelques jours pour découvrir la région. Inconsciemment, dira t elle plus tard à Aline, mon choix se porta sur l’île de Ré pourtant loin de Mornac. Choix pas vraiment innocent puisqu’elle y avait vécu le début de sa vie amoureuse avec Paul et n’y était jamais retournée depuis. Elle avait aimé passionnément cette île parce qu’elle aimait passionnément Paul. Elle avait l’âge des grandes illusions et pensait que ce serait pour la vie. C’est ça qui a été le plus dur pour moi dira-elle un jour à Aline : « ne pas savoir quand il a commencé à ne plus être avec moi ».

     Au volant de sa voiture elle parcourut l’île du Sud au Nord, d’Est en Ouest avec l’appréhension, la crainte inavouée que le passé lui revienne en boomerang à la vue de tous les lieux qu’elle avait aimés avec Paul et surtout grâce à Paul. Il n’en fut rien. Tout avait changé et elle avait perdu ses repères. Abandonnée la liaison maritime depuis le port de La Palice au profit d’un long pont qui, tel un couteau affilé, coupait l’océan en deux ! L’hôtel un peu désuet sur le port de St Martin où ils avaient passé de si merveilleux moments affichait fièrement ses trois étoiles et le restaurant de poissons – fruits de mer que Paul appréciait tant avait disparu au profit d’une crêperie. L’île s’était transformée en centre touristique   et avait perdu son authenticité. Les voitures étaient partout ! Même ce petit Bois de Trousse Chemise cher à Aznavour et sa crique au charme sauvage était devenue une plage à touristes. « On s’était baigné à Trousse Chemise, la plage déserte était tout à nous ….chantonna – t –elle. Elle s’y promena avec le regard d’une visiteuse ordinaire. Bien sûr, l’île en dehors de l’exploitation commerciale, conservait ses beautés naturelles ; les longues plages de sable fin, les bois de pins et de chênes verts, une flore presque méditerranéenne et les petites maisons blanches des hameaux retirés. Elise voyait tout et ne ressentait rien. Elle alla au bout de l’île près du phare des Baleines dans une zone désormais aménagée pour les promeneurs. Je suis si souvent venue avec Paul au coucher du soleil et aujourd’hui il faut payer pour être ici ! Ils s’asseyaient sur la plage, serrés l’un contre l’autre, au pied du phare, face à l’océan et regardaient la marée monter presque jusqu’à leurs pieds. Ils étaient dans le silence et dans une émotion partagée quasiment mystique. Seule aujourd’hui elle n’éprouva rien. Un pâle soleil de début mai ne réussissait pas à percer la brume qui recouvrait l’horizon et son cœur ne réagissait plus. Elle dira au retour à Aline : « j’ai senti à ce moment-là que j’étais définitivement guérie. En venant ici je prenais le risque de voir resurgir le passé mais la page était bel et bien tournée».

     C’est sans nostalgie qu’elle reprit la route de Mornac. Une phrase lui revenait sans cesse en tête , celle qu’elle attendait pour débuter son roman : « Mais si… un moment arrive où tout devient plus facile, où l’on peut regarder en arrière sans crainte de se perdre ».

La vie rêvée de Marianne

La vie rêvée de Marianne

     La corde qui le tenait ligoté, lesté par une pierre, avait fini par céder et le corps était remonté à la surface du lac. Enfin, ce qu’il restait du corps ! Avec les moyens dont la police disposait, l’identification n’avait pas traîné. Vingt ans après, il gisait là, au bas de la pelouse, coincé sous une grosse branche d’arbre ce qui, vraisemblablement, avait empêché sa découverte. Il aurait aujourd’hui quarante cinq ans. On avait cessé d’en parler, les plus jeunes ne connaissaient même pas son existence.

     Le pré descendait en pente douce vers le lac. L’été les enfants aimaient rouler jusqu’à son bord et les plus courageux se laissaient entraîner dans ses eaux froides car même en pleine canicule on pouvait goûter sa fraîcheur. La maison bourgeoise aux volets verts dominait l’ensemble. C’était une bâtisse massive, bien assise sur ses fondations qui semblaient indestructibles. Les parents de Marianne l’avaient choisie pour sa situation proche de la capitale et pour ses nombreuses chambres qui réunissaient le weekend toute la famille qui s’aérait ainsi de la vie parisienne. Elle était isolée du reste du village groupé autour de l’église et peu de gens y avaient accès.

     Ce jour là les voitures de police stationnées devant la grille avaient attiré les badauds. C’était Marianne qui, au cours d’une balade, avait fait la sinistre découverte et, encore sous le coup de l’émotion, elle essayait tant bien que mal de répondre aux questions des enquêteurs. La police conclut à un crime de rodeur et classa l’affaire.

    Cet évènement brutal avait fait resurgir en elle des scènes du passé. Si sa mémoire était bonne, elle n’avait pas revu son cousin Grégoire depuis la soirée de ses vingt ans. Comment aurait-elle pu oublier ce jour là, son changement de vie qui commençait, son entrée en fac, son studio à Paris, la voiture d’occasion offerte par ses parents qui allait désormais la rendre libre dans ses allées et venues. Liberté, c’était son mot fétiche, celui avec lequel elle voulait construire sa vie. A vingt ans Marianne enviait la vie d’homme libre de Grégoire.

     Le lendemain de la fête elle était partie sans bruit pour ne réveiller personne. Les autres avaient suivi peu après. Seul Grégoire était resté profitant du calme de cette fin d’été pour achever son livre sur la civilisation Inca. Il devait à la rentrée proposer à son éditeur une version complète de ses recherches, agrémentée de photos éblouissantes. Grégoire passait la plus grande partie de son temps en Amérique du Sud, ne donnait aucun signe de vie, aussi personne ne s’était inquiété de son absence, ni de son silence. Sauf peut-être Marianne qui éprouvait pour ce grand cousin, de cinq ans son aîné, une fascination qualifiable d’un mélange confus d’admiration, d’amour ou d’amitié.

     La découverte du corps fut pour Marianne un choc terrible, un tsunami puissant qui la déstabilisa longtemps. Elle était la seule dans sa famille à penser, contre toute vraisemblance, que Grégoire se trouvait quelque part en Amérique du Sud où il s’était construit une nouvelle vie. Elle espérait un signe, un appel qui bouleverserait son existence. Les années sans Grégoire elle les vécut au travers d’un double  qui avait pris en main son destin en la maintenant dans les rails sociaux et culturels liés à son milieu familial. Elle suivit des cours aux langues-O, assez brillamment d’ailleurs, qu’elle interrompit quand elle épousa Alain, le fils d’amis de ses parents, amoureux d’elle depuis toujours. La cérémonie du mariage à l’église St Sulpice fut grandiose, même si la mariée se demandait avec angoisse le pourquoi de cette union : faire plaisir à ses parents, respecter la loi du milieu, faire comme les amies des rallyes bourgeois ? Elle ne fut pas malheureuse avec Alain mais elle donnait l’impression à ses proches de s’éteindre à petits feux. Même l’arrivée d’un petit garçon prénommé Arthur ne redonna pas d’éclat à son regard. Elle était dans l’attente d’émotions venues de très loin. Les années passèrent, Arthur grandissait, Alain s’éloignait et leur couple se défaisait. Son divorce la laissa indifférente et quand Alain demanda la garde d’Arthur qui avait douze ans à l’époque elle ne s’y opposa pas. Par l’intermédiaire d’une amie elle trouva un job chez un importateur d’objets asiatiques. Son double  lui disait que c’était bien, mais la vraie Marianne n’était pas comblée. Elle survécut au drame qui frappa sa famille grâce à un psychanalyste qui la révéla à elle-même en mettant à nu sa vraie personnalité. Telle la chrysalide elle sortit de son cocon comme s’il s’agissait d’une seconde naissance. Évacué le double  pesant qui avait géré sa vie à sa place, oublié tout ce qui avait encombré son existence, le futile, le superflu, rejeté tout ce qu’on lui avait inculqué, bannies ces relations de travail et ces amitiés factices, Marianne prenait enfin sa vie en main.

     Depuis près de vingt ans le souvenir de son cousin et son engagement pour la civilisation Inca la poursuivait même si, anesthésiée par son milieu familial, elle refusait de se l’avouer. Depuis la mort officielle de Grégoire, elle se rendait souvent dans la vaste maison familiale qui par suite d’héritage était devenue sa propriété. Elle retrouva les nombreux travaux de Grégoire, ses livre, ses films et ses photos prises lors de ses voyages. Tous les écrits de son cousin lui firent découvrir un monde captivant, mais tant de zones obscures restaient à exploiter. Perpétuer ses recherches et mettre en lumière cette culture si éloignée de nous s’imposa vite à elle comme une raison d’exister. C’est au cours d’une de ces visites avec un ami architecte que l’idée lui était venue de transformer cette grande bâtisse inutile en maison d’accueil pour des étudiants de culture latino-américaine. Impressionnée par la Villa Médicis à Rome, elle voulait faire de sa propre maison le lieu de rencontre de jeunes chercheurs passionnés par la civilisation Inca : ce sera la Fondation Grégoire. Le projet était très ambitieux, mais inébranlable était la volonté de Marianne. Elle savait qu’elle ne renoncerait pas malgré les difficultés. Elle était loin la jeune femme effacée soumise à un double conformiste ! La nouvelle Marianne se sentait investie d’une mission d’envergure, à elle de montrer ce dont elle était capable. Le prêt pour les travaux obtenu après moult dossiers, elle confia à son ami architecte l’aménagement de sa maison pour mieux se consacrer à la création de sa Fondation. Commença alors pour elle un long parcours dans le dédale des administrations, ministères et universités. Le Centre culturel latino-américain de Paris lui ouvrit grandes ses portes et lui assura les contacts nécessaires avec les ambassades du Pérou et autres pays d’Amérique du Sud. Que de voyages effectués sur les traces de ces tribus dans la vallée du Cuzco et à l’inoubliable sanctuaire du Machu Picchu le plus frappant des sites Incas, mais ce qu’elle espérait trouver en dehors de ces sites majestueux c’était les nombreuses légendes comme celle du lac Titicaca quand les larmes du soleil inondèrent la vallée. Que de rapports, de lettres, de démarches avec des moments de déception, de doute, mais jamais elle ne baissa les bras. Grégoire était par la pensée à ses côtés et la soutenait sur ce long chemin pour promouvoir ce qui avait été sa raison d’être et qui maintenant était devenue sienne.

     Cinq ans pour que la Fondation Grégoire ouvre ses portes et accueille ses premiers étudiants venus une année durant travailler à la mise en lumière de la civilisation Inca . Le rêve de Marianne se réalisait enfin .

Jean-René Huguenin

     Nous étions nés la même année. Je t’avais rencontré l’été de mes seize ans dans le midi chez ton ami Jean-Jacques Soleil qui était aussi le mien. Tu étais charmant et déconcertant. Tu aimais tout et son contraire: la vie et la mort, l’ombre et la lumière, les landes bretonnes et les lauriers roses du sud. Tu écrivais déjà et ton futur s’appelait littérature.

     Je viens de lire le magnifique livre que te consacre Jérôme Michel : « Un jeune mort d’autrefois ». Je crois qu’il a tout dit de toi : tes passions, tes contradictions et tes engagements littéraires. Trop jeune pour t’avoir connu, il t’a compris à la lumière de ton journal et de ton unique roman « La côte sauvage ». Ce roman des vives clartés de nos étés trop courts, du dernier été, des dernières vraies grandes vacances dont le souvenir nous poursuivra jusqu’au dernier jour dans lequel Olivier est ton double romantique, nostalgique et tourmenté.

     Qui serais-tu aujourd’hui si tu n’avais pas été foudroyé ce 22 septembre sur la route de Chartres ? Un académicien révolutionnaire, un éditorialiste radoteur, un pontife à la Philippe Sollers ? La mort t’a épargné ce devenir misérable en te rendant intemporel.

     Petit prince sensible et attachant, tu demeures à jamais présent dans mon souvenir avec ton visage d’ange et ta mèche rebelle comme l’enfant prodige de la littérature et le témoin d’une jeunesse aimée et perdue.

     Merci Jérôme Michel pour ce livre qui rend Jean-René Huguenin plus vivant que jamais.la côte sauvage

Bom Dia Lisboa

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Bom Dia Lisboa …. !
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour te connaître … ?
Tu m’as charmée, tu m’as émue, tu m’as séduite …
J’ai aimé tes paysages qui ondulent au gré des collines ,
J’ai rêvé devant le Tage qui se prend pour la mer et s’étend paresseusement à tes pieds ,
J’ai erré avec curiosité dans les ruelles improbables de l’Alfama en espérant ne jamais en sortir ,
J’ai admiré tes façades couvertes « d’azulejos » colorés qui racontent une histoire qu’on ne connaîtra jamais ,
J’ai souri devant tes trams à l’ancienne qui s’accrochent aux pentes pour nous hisser dans le Bairro Alto et nous permettre de découvrir de magnifiques panoramas,
Moi la « fan » d’art roman j’ai découvert à Belém le baroque de ton architecture manuéline et suis restée saisie devant le délire décoratif du « mosteiro dos Jeronimos »
Le romantisme de tes places ombragées avec leur fontaine rafraîchissante comme celle du « miradouro Alcantara » m’a apaisée et j’ai laissé mon regard se porter au loin sur la silhouette dorée de la cathédrale et du « castelo Sao Jorge »
Que de verdure tu abrites dans tes parcs et jardins ! partout ces mêmes grands Jacarondas et leurs fleurs en clochettes éclatantes de lumière qui habillent les rues de mauve et les imprègnent de leur parfum acidulé.
Peu gourmande j’ai pourtant craqué pour les « pastéis de Belém » petites coques de pâte feuilletée garnie de crème brûlée parfumée à la cannelle.
Je pourrais parler aussi de tes musées si riches, de ton Jardin Botanique à l’exotisme étonnant, du quartier ultra moderne et innovant de l’Oriente et du gigantesque pont du 25 avril qui enjambe le Tage sur plus de 15 kms …
J’ai été émue par ce chant mélancolique et profond qui parle de « regret » et de « désir » le fado qui enveloppe l’âme de ton pays et que l’on écoute en soirée dans les tavernes de l’Alfama . Amalia Rodriguez est toujours présente .
Je reviendrai
Une lyonnaise à Lisbonne du 1er au 6 juin 2014

Le Prince

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Si je vous dis Prince !

Lors d’une soirée entre anciens copains de la fac Frédéric eut cette phrase qui n’étonna personne car il était coutumier des idées saugrenues : « Si je vous dis « Prince » que vous évoque ce mot ? »
Les idées fusèrent de toutes parts révélatrices de la personnalité de chacun:
Le Prince Charles, le Prince Albert, le Prince Harry enfin tous ces princes qui font la joie des magazines People du fait de leurs incartades s’exclama Clarisse la plus branchée Gala
Le Prince Charmant lance Diane la naive qui à quarante ans passés l’attend toujours
Le Prince de Hombourg pour l’inoubliable prestation de Gérard Philipe s’écrie Clara notre attachée Théatre trop jeune pourtant pour l’avoir connu
Louis le Prince Ringuet hurla Xavier le physicien de la bande
Le Prince de Machiavel rétorqua Pierre qui se veut « penseur » à cause de sa maitrise de philosophie
A l’étonnement général la fille de Clarisse, petite bambine de dix ans d’une voix fine entra dans le jeu avec le Prince de Motordu héros de livres pour enfants, champion du détournement des mots
Pourquoi pas « Le Prince foudroyé » hommage à ce peintre génial qu’a été Nicolas de Stael répondit Jérome l’artiste du groupe
Vous oubliez l’Aiglon, petit Prince impérial, roi de Rome , duc de Reichstadt mort si jeune intervint Anne qui voulait s’exprimer malgré sa timidité habituelle
Pour ceux qui ont connu les internats « La ville dont le Prince est un enfant »- pièce sulfureuse de Montherlant – marqua les mémoires, asséna Victor avec conviction
Alors que le silence se faisait une voix s’éleva, celle de Serge le plus révolutionnaire d’entre nous ; n’oublions pas la rue Monsieur le Prince où Malik Oussekine succomba victime de la répression policière lors des manifestations étudiantes en décembre 1986
Cette intervention jeta un froid dans l’assemblée mais Frédéric qui ne s’était pas encore exprimé prit la parole : c’est bien mais vous oubliez l’essentiel : Le Petit Prince de St Exupéry !
« Il était une fois un petit prince qui habitait une planète à peine plus grande que lui et qui avait besoin d’un ami .. .. Le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche. Ah je pleurerai….C’est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal mais tu as voulu que je t’apprivoise ..Bien sûr, dit le renard . Mais tu vas pleurer dit le petit prince . Bien sûr, dit le renard. Alors tu n’y gagnes rien ! J’y gagne à cause de la couleur du blé ! »
Cher vieux copain, cher Frédéric, bourru et solitaire, merci de nous parler si bien avec le cœur !

Sans elle je ne suis rien

Sans elle je ne suis rien

J’ai fait le mariage dont je rêvais. J’ai épousé l’ami de mon frère aîné, son compagnon de fac de médecine, son futur associé. Un garçon bien sous tous rapports : milieu social aisé, avenir prometteur, physique agréable et moralité garantie. Notre union enchanta nos familles et nos amis sans les surprendre comme si de toute évidence nous étions faits l’un pour l’autre. Je crois surtout que ça répondait aux critères bourgeois de ce petit monde provincial. Etais-je vraiment amoureuse : pas sûr, mais cette union était une issue flatteuse pour une jeune fille de bonne famille sans ambition personnelle. La cérémonie fut grandiose et je ressentis un sentiment de bonheur plein d’espoir sous le flot de tulle blanc qui m’auréolait. Voilà ce que j’ai entendu au retour de notre idyllique voyage de noces : Emma, tu es tout pour moi, en toi je vois la femme idéale, l’épouse parfaite, la maîtresse rêvée, je veux que tu sois là à m’attendre jour après jour, que tu t’occupes de notre intérieur et des enfants que nous aurons. Le ciel me tombait sur la tête !

J’avais émis le souhait de chercher un travail mais il m’a dit qu’une femme de médecin ne travaillait pas, c’était ainsi et il n’y avait rien à ajouter. L’idée de poursuivre des études a provoqué chez lui un petit rire méprisant car, sans le bac dit-il, il te reste la machine à écrire chez Pigier. J’ai encaissé sans réagir. Epouse soumise, fidèle, j’ai été la cruche parfaite d’un mari exigeant faisant de moi son esclave tout en accomplissant tous mes désirs. Il me suffisait de demander ou même de suggérer et la bonne fée apparaissait des cadeaux plein les mains. Rentrant de son travail tard le soir et souvent fatigué il exigeait de moi, au nom de l’amour fou qu’il me portait, une disponibilité complète, un oubli de soi ; s’occuper de son bien être et de son plaisir devant être les seules raisons de ma présence auprès de lui. .J’avais épousé aveuglément le parfait macho.

Nous eûmes des relations choisies parmi ses confrères, des épouses qui m’entrainaient l’après-midi dans des clubs dont les activités pour des associations plus ou moins caritatives servaient à leur donner bonne conscience mais surtout à exhiber leurs dernières tenues à la mode. Au bord de la dépression, sous des prétextes fallacieux, j’abandonnais petit à petit ces après-midi suivis de cocktails interminables où, quand ils étaient disponibles, nous rejoignaient nos maris. Au fil des années, je sentais la révolte montée en moi et je savais qu’un jour je le plaquerai, lui, son prétendu amour et sa belle maison avec vue sur la mer. Pour fuir le ghetto conjugal je mis au point un plan de combat : ne pas tomber enceinte et me constituer une réserve d’argent. Pour ce dernier point, je prélevais chaque mois sur son compte une certaine somme que je plaçais habilement ailleurs. Je tenais les cordons de la bourse et il ne s’aperçut de rien. Pour la prescription de la pilule une ordonnance subtilisée et remplie en son nom fit l’affaire. La résistance étant engagée et en attendant une épargne suffisante, j’assumais ma fonction d’épouse telle qu’il la voulait, douce et aimante. Je repris le chemin des clubs et j’assistais aux cocktails avec une hypocrisie que personne ne décelait.

J’attendis le moment propice pour mettre les voiles sachant que ce jour-là, alliant l’hôpital le matin et le cabinet l’après-midi il rentrerait tard dans la soirée. C’était le quatrième anniversaire de notre mariage, Interflora m’avait déjà livré un énorme bouquet de roses rouges, mais je savais qu’il avait aussi commandé une parure chez le bijoutier d’en face. En fait de cadeau il allait être servi, moi je lui offrais une maison vide, sans même une enveloppe posée sur la cheminée pour lui expliquer les raisons de mon départ, je devrais dire ma fuite.

Une seule personne était dans la confidence. J’avais retrouvé une camarade de classe connue de moi seule, du moins je le pensais. Elle vivait dans un coin perdu de l’Ardèche, là où personne ne pourrait me retrouver. Je pris donc le train en direction d’Aubenas puis un car poussif qui m’amena à destination. Je quittais une ville sophistiquée, luxueuse où tout était surfait pour un paysage naturel éblouissant de beauté. La rivière était là sauvage qui tombait en cascade. L’émotion qui m’étreignit alors ne ressembla à aucune autre. J’aidais quelques temps aux travaux de la ferme qui me brisaient le corps et me plongeaient fourbue dans un sommeil sans rêves.

Rubrique des petites annonces du journal local : on recherche une dame de compagnie logée, nourrie, pouvant faire quelques courses ainsi que la lecture à une personne âgée. Je téléphonai le jour même en donnant un nom d’emprunt ; rendez-vous fixé le lendemain, je fus prise à l’essai pour quelques jours et plus si je convenais.

Douce et peu exigeante la vieille dame ressemblait à ma grand-mère, comme elle sa vue était basse et elle ne vit pas les larmes qui brouillaient ma lecture. Le passé revenait. Depuis mon départ, pas une seule fois je n’avais songé à ma famille, à l’angoisse qu’elle vivait ne sachant si j’étais encore en vie. Quel scénario mes proches avaient-ils imaginé ? Enlèvement, viol, crime, sûrement pas à un départ sciemment organisé car, qui pouvait se douter de mon désarroi, je n’en avais jamais parlé à personne.

Tous les dimanches Richard rendait visite à sa grand-mère qu’il appelait grand-mamie avec beaucoup de tendresse dans le regard et dans la voix, un bouquet de roses blanches à la main, c’était ses préférées. Elle était tellement fière de son Ritchie qu’elle avait élevé seule et qui dirigeait maintenant une usine de quelques dizaines d’ouvriers près d’Aubenas. Il n’avait que peu de temps à consacrer à sa grand-mère et peu de temps aussi pour d’éventuels loisirs. Toujours célibataire à plus de trente ans, le temps manquait aussi pour des aventures sentimentales. Nous étions de la même génération et il nous arrivait de bavarder le soir après que grand-mamie fut couchée. Je lui cachais tout de mon passé m’inventant une vie d’orpheline placée ça et là dans diverses familles. Puis un jour il arriva avec un deuxième bouquet. Semaine après semaine il devint plus pressant, un dîner puis une soirée chez lui où je passais la nuit et d’autres nuits encore. Mais quand il m’avoua son amour et son désir d’une vie à deux, un vent de panique souffla en moi et je pris le large sans explication.

Je trouvais facilement un autre travail dans une librairie d’Aubenas où j’aidais la responsable quelques heures par jour. Une amie de cette dernière me loua pour un prix modique une chambre à quelques encablures de la librairie. Enfin libre ! Je me suis parfois sentie comme une âme errante en perte d’identité mais jamais je n’ai regretté ma fuite, je savais que quelque part une autre vie m’attendait faite de bonheur partagé. Je jouissais de cette liberté comme une enfant devant un jouet longtemps désiré.

Deux stations de bus séparaient mon logement de la librairie. Quand il faisait beau je rentrais à pied goûtant l’air neuf du printemps qui s’éveillait et je me surprenais à chantonner. Depuis quelques jours je sentais comme une présence derrière moi, sans doute le fruit de mon imagination. J’accélérais le pas, le ralentissais, me retournant souvent mais aucun visage ne m’était familier. Je sentais les battements de mon cœur s’intensifier et prise de panique je rentrais chez moi en courant et m’enfermais à double tour. Ce qui n’était au début qu’un doute se transforma au fil des jours en certitude et en peur incontrôlable. Je n’étais pas seulement inquiète je devenais complètement parano. Une seule personne pouvait me rechercher de cette façon, mon mari, et qu’adviendrait-il de moi s’il me retrouvait. Connaissant sa jalousie je craignais le pire.

Ma famille avait sûrement prévenu la police mais pour employer un détective privé à son service il fallait avoir des intentions perverses. Je changeais d’itinéraire chaque jour, puis dans le reflet d’une vitrine je vis un homme arrêté le regard dans ma direction tout en faisant semblant de lire son journal. Un type ordinaire qui savait se fondre dans la foule. Il me connaissait et savait donc où j’habitais. Ma peur avait enfin un visage. Encore fuir, toujours fuir, gagner du temps ! Je savais maintenant où que j’aille qu’il me retrouverait. J’ai pensé un moment tout avouer à Richard dont j’avais gardé le numéro de téléphone, mais que comprendrait-il à la vie d’une épouse adulée par son mari qui fuyait un bonheur que beaucoup de femmes lui envieraient ? La solution était de faire face en essayant de connaître le pourquoi de cette filature. J’avais mis au point un scénario pour l’aborder, lui demandant l’heure ou du feu avant d’en venir à l’essentiel. Ma décision prise je retrouvai un peu de calme.

Le lendemain j’allais au travail d’un pas lent m’arrêtant à chaque vitrine dans l’espoir d’apercevoir le reflet de mon suiveur. Personne ! Les jours suivants, aucune trace de l’homme au pardessus gris, je finis par me demander si mon imagination ne me jouait pas des tours et si je n’avais pas monté de toute pièce un roman auquel je croyais dur comme fer. Sa filature terminée, mon suiveur avait sûrement fait un rapport détaillé à mon mari : l’endroit où je travaillais et l’appartement que j’occupais. Il savait désormais tout de ma vie y compris ma relation avec Richard, ce qui avait dû le rendre fou. .

                                                  Epilogue

On retrouva le corps d’Emma étendu sur le sol, un foulard noué autour de la gorge. C’est une voisine qui avait alerté les autorités ne la voyant plus entrer ni sortir de son logement. C’est une ancienne camarade de classe d’Emma qui avait mis son mari sur la piste ardéchoise ! Quelques jours plus tard il fut arrêté, jugé et condamné pour le crime qu’il avait commis.

Les mots du cinéma

Source :projecteur Les mots du cinéma

Il y a longtemps que je t’aime ! Souviens-toi l’année dernière à Marienbad dans le château de ma mère, nous étions invités à ce dîner de cons face aux granges brûlées et nous savions déjà que nous ne vieillirons pas ensemble. J’avais le cœur en hiver et nous étions misérables. Je suis allé chez tatie Danièle décrocher le vieux fusil et je me suis senti ridicule avec cette haine au cœur. Autrefois nous étions intouchables mais aujourd’hui je suis à bout de souffle fait de rouille et d’os devant cet amour et nos âmes ressemblent à l’armée des ombres. Ce ne fut qu’une grande illusion avant que la vérité éclate. Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? De battre mon cœur s’est arrêté. Je l’ai aperçue en plein soleil et j’ai passé ma nuit chez Maud cet automne ma saison préférée. Tu m’as dit : on connait la chanson ! Depuis je suis en cavale c’est la grande vadrouille et je pense à nos jours heureux. Prête-moi ta main une fois encore l’amour c’est mieux à deux.