La rêveuse

Je crois avoir toujours vécu avec le Petit Prince.

Alors âgée de cinq ans à peine je me rappelle que ma mère me montrait les images d’un petit bonhomme qui semblait avoir mon âge, blond comme les blés , qui voulait qu’on lui dessine un mouton puis une caisse pour son mouton et qui était amoureux d’une rose. Les années passant ma mère me lisait des passages  du Petit Prince que j’écoutais,  bouche bée, comme on écoute une histoire que l’on croit vraie. Chaque soir je lui réclamais cette lecture pour m’endormir sauf la fin que je trouvais trop triste.

Ensuite j’eus l’âge de  comprendre au-delà des mots et peu à peu je réalisai que cette histoire était plus profonde  qu’un simple conte et avait un lien avec le comportement humain. Malgré cela je voulais toujours croire que le Petit Prince allait revenir pour rendre moins triste le narrateur. Je me faisais la promesse qu’un jour devenue grande j’irais dans le désert à la recherche de l’enfant « rieur aux cheveux d’or »et que je le retrouverais.

Cette idée ne m’a jamais quittée. Les vicissitudes de la vie ont longtemps retardé la réalisation de ce projet. J’ai souvent regardé le ciel en me demandant si le mouton avait ou non mangé la fleur ce qui provoquait l’étonnement de ceux qui ne connaissaient pas l’histoire. Moi l’histoire toute entière je la connais par cœur depuis le début de mon adolescence. Que de fois ai-je évoqué le renard qui s’étant laissé apprivoisé pleure le départ du Petit Prince en lui disant : je pleure mais « j’y gagne à cause de la couleur du blé ».

Un jour l’occasion s’est présentée. Un copain organisait un voyage au Maroc avec une virée d’une journée et un bivouac dans le désert. Je pus me libérer et mon rêve se réalisait. De ce voyage aux villes et sites magnifiques, seul demeure en moi, comme si c’était hier, le souvenir de ma nuit dans le désert. Le Sahara séduit, envoute, même le voyageur le plus blasé ne résiste pas à son charme. Immensité, plénitude, sérénité, ce sont les mots qui tournent en boucle dans ma tête. Tout avait commencé par un dîner au feu de bois préparé par les deux locaux qui nous accompagnaient sans oublier les grands verres de thé brûlant qui réchauffaient nos corps et nos cœurs. Les nuits sont glaciales dans le désert même à la fin de l’été et très vite nous nous réfugiâmes sous la tente dans nos sacs de couchage accueillants et douillets. Trop exaltée d’être là, au milieu de nulle part, pour penser à dormir, je laissai mes compagnons et me glissai dehors. Bien protégée par mon épaisse parka du froid qui piquait fort, je m’éloignais de quelques mètres du bivouac. Ce fut une nuit magique. Blottie au creux du sable, je regardais l’immensité devant moi, le ciel étoilé et juste au dessus de moi une étoile plus brillante-à n’en pas douter celle du Petit Prince-et sur l’horizon les dunes qui semblaient onduler comme des vagues marines. Je me sentais ni isolée ni perdue comme si je retrouvais un endroit aimé et connu de toujours. Une impression de bonheur qui submerge, une émotion difficile à communiquer aux autres sauf à ceux qui ont en mémoire la rencontre d’un pilote en panne de moteur au milieu du désert avec un enfant aux cheveux d’or.

Je crois que mes yeux se sont alors fermés. Combien de temps ai-je ainsi dormi je ne sais pas? Mon sommeil fut rempli d’images sorties du livre de mon enfance où les baobabs côtoyaient les roses. Soudain j’entendis une voix venant de loin me dire:  » ton absence a été bien longue mais je savais que je te retrouverais ».

Amis qui comme moi aimez le Petit Prince  ne rêvez pas … ce n’était pas lui mais un de mes  copains qui s’inquiétait de mon absence. Le Petit Prince ne reviendra pas dans ce beau paysage saharien mais un auteur a su nous le rendre immortel. Les plus utopistes imagineront, j’en suis sûre, qu’un jour les astronautes retrouveront dans l’espace céleste la planète aux quarante-trois couchers de soleil. Rien n’arrêtera dans le futur une navette spatiale d’accoster sur cette minuscule planète qu’est l’astéroïde B 612…. Et peut-être serais-je à l’intérieur.